France - Angleterre - Décevant, timoré ou encourageant : que penser du match de Nicolas Depoortere (XV de France) face aux Gallois ?

Par Paul Arnould
Publié le Mis à jour
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Nicolas Depoortere se souviendra longtemps de sa première sélection. Une belle victoire collective dans le chaudron du Principality Stadium, ce n'est pas anodin. Positionnée comme premier centre dans la ligne de trois-quarts française, la pépite de l'UBB a été moins en vue que lors de ses dernières sorties. Assez logiquement. Tentatives d'explications.

Lui n'était absolument pas frustré au coup de sifflet final. "Je suis très heureux, c'est un rêve de gosse qui se réalise, jouer avec cette équipe, ce pays, c'est énorme", lâchait-il, tout sourire, au micro de France 2. Une victoire face au pays de Galles dans l'enfer du Principality Stadium pour une première cape, c'est fort. Et même si cette équipe galloise n'a pas grand chose à voir avec la bande à Alun Wyn Jones, le cœur du gamin d'Izon devait battre très fort au moment d'entrer dans l'enfer du jadis Millénium et rugir encore un peu plus lorsque résonnèrent les premières notes de La Marseillaise.

À chaud, la prestation de la pépite bordelaise pouvait semblait un peu timide. Est-ce réellement le cas ? Aurait-il pu davantage s'exprimer dans une rencontre débridée favorable à ses qualités et avec une équipe de France portée vers l'attaque ? C'est qu'il nous avait habitués à traverser le terrain... Xavier Garbajosa se charge du travail de contextualisation : "Il ne faut pas oublier l'aspect émotionnel. Pour l'avoir vécu, je peux vous dire que ça joue. Le contexte était difficile après le match nul contre l'Italie, on ne savait pas trop où on en était et on ne peut pas attendre de Meafou, Barré ou Depoortere qu'ils renversent d'un seul coup la table. Mais il a tout de même amené la fraîcheur et l'enthousiasme qu'on attendait de lui."

Sébastien Calvet, le sélectionneur des moins de 20 ans connaît parfaitement le jeune homme pour avoir triomphé avec lui lors du dernier Mondial U20. Son analyse est précieuse. "C'était une phase de découverte pour lui. Il avait cette volonté de découvrir avec prudence le plus haut niveau international. Ce fut concluant mais on sent qu'il peut apporter plus."

La volonté de rester dans le cadre ?

Que disent ses statistiques ? 25 mètres parcourus balle en main, 6 passes, 3 défenseurs battus et 7 plaquages, pour deux manqués : elles sont plus qu'honorables, à défaut d'être sensationnelles. "C'est une partie encourageante, estime l'ancien manager du Lou, mais on est en droit, lui le premier, d'attendre mieux. Il faut lui laisser le temps de s'installer, d'apprivoiser ce triangle avec Ramos et Fickou où il en est l'élément central."

Se concentrer sur le match de Depoortere, c'est observer justement ce triangle qui a très bien fonctionné avec le Toulousain et le Racingman. Le Girondin remplaçait numériquement un Jonathan Danty au profil bien défini et au style si particulier. Dans l'état, le jeune loup a dû s'adapter au projet de jeu de l'équipe de France et à ses schémas préférentiels. Ainsi, Depoortere a davantage brillé dans les tâches collectives que dans la perf' individuelle. En attestent ses 19 courses de soutien qui ont grandement facilité les libérations très propres des Bleus (103 rucks gagnés pour 3 perdus, 64.36 % de libérations entre 0 à 3 secondes contre 54.93 % pour Galles).

Il a aussi brillé dans ce rôle, parfois ingrat, de fixation sur les attaques placées françaises (image 1), et de pivot (image 2), même si, là encore, des améliorations sont possibles (image 3). 

Image 1.
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Depoortere est sollicité en premier attaquant sur cette attaque placée. Ici, trois solutions s'offrent à lui : conserver (flèche orange), servir Fickou (flèche bleue), à plat, qui permet aussi de fixer le premier rideau gallois, ou jouer dans le dos (flèche rouge). Depoortere choisit l'option du jeu qui semble la plus naturelle, à raison car il y a un surnombre à jouer avec Ramos, Bielle-Biarrey, Barré et Penaud. Ramos redresse bien sa course, Bielle-Biarrey aussi, et l'arrière des Bleus a du champ pour progresser et transmettre à son ailier. Un mouvement d'envergure à l'origine de l'essai de Colombe. La France reprend le score pour ne plus jamais le lâcher.

Image 2.
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Voici une situation où Depoortere (en jaune) est utilisé en pivot. Bien trouvé par Ramos d'une passe rapide, le trois-quarts centre est de profil, arrêté. Il trouve Penaud qui a une course tranchante (flèche rouge) et qui va manger l'espace (flèche bleue). Dommage que Fickou n'ait pas plus de profondeur pour apporter une solution supplémentaire. Mais les cannes de Penaud font la différence et l'ailier fixe bien le Gallois (en rouge) pour offrir un deux contre un à Barré et Bielle-Biarrey face à l'arrière qui entre dans la ligne (flèche orange). Le Parisien manque cependant sa passe.

Image 3.
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Depoortere arrive à pleine vitesse dans l'intervalle (flèche rouge). Ses épaules sont positionnées vers l'intérieur et le jeune centre a pris sa décision : frapper la ligne d'avantage. Malheureusement pour lui, le trou va se refermer. Une autre solution existait, cette fois-ci encore en pivot avec un large surnombre à négocier sur l'extérieur (en jaune) face à un seul défenseur gallois (rouge).

"Cette phase de découverte était nécessaire pour la confiance avant de monter en puissance, explique Calvet. Les débuts de Louis (Bielle-Biarrey) et d'Émilien (Gailleton) étaient un peu pareils. Donc oui, une première concluante mais timide. Il va se renforcer et prendre plus d'initiatives avec le temps. À côté de ça, il a été plutôt fiable aussi bien en attaque qu'en défense." Les détracteurs retiendront sa naïveté sur le deuxième essai gallois où il est (partiellement) fautif car piégé par le leurre gallois (image 4), mais "des erreurs, tout le monde en fait", défend Garbajosa.

Image 4.
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C'est son erreur majeure de la rencontre. Sur cette action galloise, Depoortere (en jaune) est pris par le leurre du gallois. Watkin joue bien le coup en gagnant son duel face à Ramos (flèche rouge) avant d'aller chercher l'épaule faible du Bordelais qui a pris du retard dans son organisation défensive. Le centre gallois profite aussi de la présence d'avants français dans le rideau (Atonio, en l'occurrence) pour breaker. Il peut ensuite servir Tomos Williams qui file entre les perches. 

Son positionnement a-t-il participé à sa discrétion ? 

Habituellement numéro 13, Depoortere avait le 12 dans le dos à Cardiff. Faux débat ou explication d'un impact moins visible balle en main ? "Pour bien connaître le projet de jeu de l'équipe, hormis dans certaines phases, il n'y a pas de différence forte dans le positionnement, analyse Calvet. Surtout que Nicolas (et Fickou, N.D.L.R.) possède les deux registres (physique et recherche des espaces). C'est plus dû à la physionomie du match que le positionnement donné, mis à part sur les premières défenses ou les 912 (le demi de mêlée qui trouve en premier attaquant son premier centre).

"Tout dépend du système mis en place, complète Garbajosa. On demande à un Danty ou Bundee Aki de gagner le territoire pour faire circuler les avants dans l'avancée. Mais Depoortere, à l'image du Toulousain Ahki, a une palette complète. Il est grand, il a la capacité de passer les épaules derrière la première ligne de défense, mais aussi de jouer dans les couloirs (à l'image de son très bon jeu au pied pour son compère Bielle-Biarrey) comme dans les espaces de cassures."

Fickou a fait une performance mais elle est aussi à mettre au crédit de Depoortere

Une paire de centres polyvalente qui permet à l'équipe de France d'avoir de la variation et d'entraîner une constante incertitude dans la tête des défenseurs. Fickou, numéro 13, c'est justifié pour Xavier Garbajosa. "Il est le capitaine de la défense, son rôle est crucial, il a l'expérience du poste au niveau international. Son impact est important pour faire circuler la ligne défensive et de ses avants." Mais à l'ancien international de compléter : "Un garçon comme Fickou a fait une performance. Elle est aussi à mettre au crédit de Depoortere qui, grâce à ses courses et à son déplacement, a permis à Gaël de pouvoir s'exprimer." (Image 5).

Image 5.
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La passe dans le dos de Meafou (en bleu) a fait la différence et permet à Ramos d'avoir de l'espace. Ici, le leurre de Depoortere (en jaune) est parfait et permet de fixer le défenseur gallois. En redressant leurs courses, Ramos et Penaud offrent à Fickou un duel à jouer (flèche orange) face au défenseur gallois (en rouge) qui couvrait le second rideau.

Se profile dans quelques jours un Crunch attendu et redouté depuis que le XV de la Rose s'est mué en bourreau génial d'une Irlande en quête d'un 2e grand chelem d'affilée historique. Somme toute logique, les 21 printemps de Depoortere seront à Lyon pour en découdre. "Avec un peu plus de bouteille et le connaissant, il va prendre plus d'initiatives et s'affirmer comme leader, se projette son ancien coach des U20. Ce qui est rassurant, c'est que le duo s'est senti à l'aise et qu'ils ont eu l'air de bien s'entendre."

Ce sera assurément le premier grand test pour lui et cette équipe de France rajeunie et joueuse. "Il ne faut pas oublier qu'on les a humiliés chez eux l'année dernière, se souvient "Garba". Pour les connaître un peu, ils l'ont toujours en tête, soyez-en sûrs, et nous ne devrons pas non plus l'oublier car il y a dans leur état d'esprit une volonté et une résilience qu'ils avaient perdu ces dernières années." À Depoortere et aux Bleus de terrasser ces Anglais belliqueux.

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Les commentaires (39)
Lacouoste Il y a 1 mois Le 13/03/2024 à 23:37

Les réflexions sur Léo barré me paraissent justes et il est curieusement épargné

pasali Il y a 1 mois Le 14/03/2024 à 04:03

Il a été plutôt très bon pour une première sélection. Revoyez le match en mettant vos lunettes.

Lacouoste Il y a 1 mois Le 13/03/2024 à 23:36

Depoortere a démarré dans les plus mauvaises conditions pour lui.Un 13 n'est pas un 12 surtout dans un système où André Boniface se serait demandé ce qu'il faisait là.Fixkou -c'était prévisible-a bcp profité du travail de depoortere sans avoir sa vitesse.Tout cela sent le mauvais procès .Le plus logique eut été de sortir Fixkou en milieu de deuxième mi temps de le remplacer par depoirterre et de faire rentrer Morgane en 12 pour avoir la ligne de 3/4 de l'UBB.C'euteteun vrai test.Quoi qu'on dise 12 et 13 ne sont pas interchangeables et La defense en 12 -ou l'on n'a pas de recul surtout si le 10 laisse passer ..En 13 on a plus de temps et l'on a besoin à ce poste d'un finisseur ce qu'est exactement depoortere.

Ribouldingue Il y a 1 mois Le 13/03/2024 à 16:22

France - Angleterre - Décevant, timoré ou encourageant : que penser du match de Léo BARRE (XV de France) face aux Gallois ?
on pourrait poser la même question et faire la même analyse ça serait pas mal non plus n'est-ce pas #Rugbyrama ?