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Histoire - Il y a 70 ans, André Boniface découvrait (et gagnait) le Tournoi

  • Les joueurs de l'équipe de France lors du Tournoi 1954
    Les joueurs de l'équipe de France lors du Tournoi 1954 Corriere dello Sport
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Le 10 avril 1954, 70 ans jour pour jour, la France gagnait le Tournoi pour la première fois, via une égalité à trois, ce qui dévalorisa la performance. Et à l’aile débutait un jeune landais qui ne voulait pas se contenter de peu. Son nom : André Boniface.

Ah, les charmes flous du rugby d’antan. Il y a 70 ans, le Tournoi n’avait pas de classement officiel. Il autorisait toutes les approximations hiérarchiques et c’est ainsi qu’en 1954 la France, pour la première fois, se déclara gagnante de la prestigieuse épreuve. C’était vrai, ou plutôt ce n’était pas faux : la France avait gagné à égalité avec deux autres équipes, le pays de Galles et l’Angleterre battue 11-3 à Colombes pour le dernier match alors qu’elle jouait le grand chelem. Au regard de l’Histoire, la performance était incontestable, mais le partage incitait à la modestie. "J’ai terminé le dernier match contre l’Angleterre en ignorant que nous venions de vivre une première historique", reconnut Pierre Albaladéjo, qui débutait ce jour-là. D’ailleurs le capitaine Jean Prat lui-même n’en gardait pas un souvenir marquant. D’ailleurs, si l’on prend en compte la balance attaque-défense, comme on le ferait aujourd’hui, les Bleus auraient terminé troisièmes.

Le tunnel de Colombes à 19 ans

Ce Tournoi plein de paradoxes, nous l’associons surtout dans notre mémoire aux débuts d’un attaquant surdoué de 19 ans, André Boniface, centre à Mont-de-Marsan, placé à l’aile en bleu, le 26 janvier contre l’Irlande. Il était le seul néophyte du XV de départ. Sur la fin de sa vie, il nous avait confié : "la descente sous le tunnel qui conduit au terrain m’avait un peu angoissé. C’était très mal éclairé, l’eau suintait sur les murs, le sol était inégal. J’avais la hantise de glisser et de me blesser. Après avoir gravi sept ou huit marches, on arrivait à ciel ouvert derrière les poteaux et on était cernés par cinquante mille personnes. C’était pour moi une impression forte qui m’a sublimé." Le jeudi soir, il avait découvert le groupe avec ses vétérans, surtout ces Lourdais qu’il admirait tant, Jean Prat et la paire de centres Roger Martine-Maurice Prat. Ils les avaient affrontés, il avait dévoré la description de leurs exploits dans la presse.

Notre confrère Denis Lalanne donna une genèse étrange à cette première cape. Il travaillait alors au Figaro, dont le service des sports était très proche des trois sélectionneurs : Roger Lerou, André Verger et Adolphe Jauréguy. Sachant le poste de 14 vacant, Lalanne avait soufflé le nom de Boniface à son chef Maurice Capelle : "Je connais un centre qui peut faire mieux que dépanner !" Son chef avait répondu : "Pas question, on ne va pas s’amuser à mettre un centre à l’aile !" Et pourtant, Denis Lalanne resta toujours persuadé que son chef de service avait fait passer le message aux trois caciques qui ne quittaient que très peu Paris, et ne recevaient que peu d’images. Les reporters avaient alors beaucoup d’influence (ceux de Midi Olympique aussi). Denis Lalanne était persuadé du potentiel de son protégé landais, mais il donnait une autre explication au succès de son lobbying. "Si l’on pouvait faire plaisir à son président Camille Pédarré, en lui sélectionnant son petit dernier, on n’allait surtout pas y manquer ! De tous les présidents de province, il était celui qui savait le mieux dérouler le tapis pour les envoyés spéciaux parisiens en leur offrant la meilleure cantine du moment, la divine table de Jean Darroze à Villeneuve-de-Marsan."

Ce France-Irlande, André Boniface ne l’a pas loupé, même en position d’ailier. Midi Olympique avait insisté avant le match sur le fait qu’il était plus un constructeur qu’un finisseur. Le journal jaune récidiva après le match en décrivant deux interventions décisives sur les deux essais de Maurice Prat, "un recentrage au pied parfaitement ajusté, puis une passe croisée d’école pour Roger Martine."

Un essai sur lequel il fit la fine bouche

Ce Tournoi 1954 appelé à entrer dans l’Histoire, André Boniface l’avait vécu avec une forme de désinvolture. Il était content d’être là, mais cachait à peine sa frustration de n’être utilisé qu’en de ça de ses capacités. Il était en contrôle, sûr de son potentiel et de ses atouts, un peu comme un Ntamack ou un Jalibert : "Il n’y a pas eu de grande émotion sur le moment, ça s’est sûr. On avait quand même touché une petite médaille très banale qui ne signifiait pas grand-chose. De toute façon, j’étais trop jeune, je ne réalisais pas. Je crois que j’étais content pour les anciens, pas pour moi, même si j’avais marqué un essai contre les Anglais. Mais je l’avais trouvé nul, sur le moment. Je n’avais fait que courir derrière un coup de pied. Je jouais à l’aile avec de très bons centres pour me servir, Maurice Prat et Roger Martine. Mais j’espérais un jour que je pourrais moi aussi être à ce poste pour pratiquer le rugby que j’avais envie de jouer. C’était mon état d’esprit. J’avais confiance en l’avenir car je me sentais "pistonné" par Jean Prat."

Cet essai face à l’Angleterre, André l’avait pourtant décrit avec enthousiasme tout de suite après la rencontre, pour ne pas cracher dans la soupe : "Je fixais le drapeau blanc qui marquait pour moi la limite du paradis à atteindre. Mais je ne voyais autour de moi que des maillots blancs, des Anglais, alors j’ai foncé et j’ai marqué. Ouf ! Quel soulagement !" La photo serait affichée plus tard dans un bar de Montfort et André s’y trouvait l’air stupide. Mais la lecture de Midi Olympique l’avait sans doute ravi : dès le premier match, un chroniqueur, le docteur Jean Delrieu avait livré un article technique qui assassinait Michel Vannier et réclamait le passage de Maurice Prat à l’arrière et l’association Martine-Boniface en 12-13 : "Boniface a surtout joué en centre, et en grand centre." Après France-Angleterre, nouvelle analyse signée JP Alban (journaliste à Midi olympique), très lucide sur le Landais : "Le XV de France met à la mode les trois-quarts interchangeables, centres ou ailiers. André Boniface préfère cent mille fois jouer au centre. Il aime mieux inciter ses rivaux à venir mourir sur le bord de la touche que de les renverser par un plaquage percutant ou par une cravate, mais il a su montrer qu’il n’était pas seulement capable de faire rebondir les actions."

Dès ses débuts internationaux, Boniface se voyait au service d’un style et d’une esthétique, c’est ce qui nous a toujours fascinés chez lui. Cette conscience d’être porteur d’une mission, celle du créateur et du passeur, amoureux des espaces et rétif au défi physique, hormis quelques plaquages inévitables. Mais en examinant tout ça à la loupe, on se rend compte que cet hiver 54 (celui du rugby, pas de l’Abbé Pierre) mérite mieux qu’un récit en demi-teinte. Au milieu des quatre matchs du Tournoi, la France avant affronté les All Blacks en tournée. Un "petit" rendez-vous du 27 février, gagné lui aussi (3-0). Autre première historique. "Mais ça n’avait pas eu un très grand retentissement, pas comme si ça se passait maintenant", nous confia André Boniface qui a toujours ajouté une touche de modestie pour minorer cet exploit : "J’ai toujours pensé qu’ils étaient fatigués en fin de tournée et qu’ils étaient sortis s’amuser dans les jours qui avaient précédé le test." Ce jour-là, les Français, privés de ballons, avaient gagné par miracle après avoir subi un wagon d’occasions. Boniface pas réputé pour aller à la mine avait pourtant reçu un titre de Midol comme une Croix de Guerre : "Boniface sait défendre." Réduit au chômage technique offensif, il avait joué les gardes du corps du redoutable Ron Jarden, petit Lomu qui s’ignorait. Il avait d’ailleurs sauvé in extremis un essai en prenant le ballon, après rebond, au-dessus de la tête de son adversaire direct.

Quatre victoires en cinq matchs et la révélation de Boni, ce n’était pas si mal comme bilan. Boni, justement, voulait bien être un héros, mais dans un certain style qui lui appartenait. Ainsi débutait sa légende.

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