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Top 14 - Mourad Boudjellal (ex-Toulon) : "On ne parle pas à un supporter comme à un client"

  • Mourad Boudjellal lors de la finale du Top 14 2022 entre Castres et Montpellier
    Mourad Boudjellal lors de la finale du Top 14 2022 entre Castres et Montpellier Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Pour la première fois depuis décembre 2019, Mourad Boudjellal, ancien président emblématique du RCT, sera au stade Mayol samedi pour la rencontre entre Toulon et Montpellier. Il en explique les raisons et livre au passage son analyse de la situation actuelle du club varois.

Dans votre chronique "Mourad de Toulon" sur Eurosport, vous avez annoncé votre retour au stade Mayol pour la rencontre de ce week-end entre le RCT et Montpellier. Vous confirmez ?

Je n’ai pas encore acheté mes places, mais je confirme que je serai à Mayol samedi pour ce match.

Vous disiez pourtant avoir été invité par Bernard Laporte, manager de Montpellier ?

C’est vrai mais j’ai reçu quelques messages où l’on me reprochait de profiter de ces invitations. Ça m’a un peu gonflé, alors j’ai décidé d’acheter des places pour qu’on ne puisse rien me reprocher. Je trouve ça dingue, mais c’est comme ça… J’ai pourtant, à une époque pas si lointaine, mis 15 millions d’euros dans le club. Tous les anciens présidents du club ont une place attribuée à chaque match que je n’ai pas alors que je suis encore caution de tous les prêts du club. Et je peux vous dire qu’il y en a quelques-uns, notamment celui qui a servi à financer le Campus.

Depuis quand n’êtes-vous pas allé au stade Mayol ?

De mémoire, mon dernier match date de décembre 2019, c’était un match contre Clermont. Et j’étais parti à la mi-temps.

Vous étiez pourtant toujours officiellement président…

Oui, j’étais encore président, mais je n’étais plus majoritaire de l’actionnariat du club. J’avais vendu mes parts à Bernard Lemaître. Lui avait envie de prendre la tête du club. Je ne pouvais plus faire comme j’en avais envie. Et lui ne pouvait rien faire comme il le voulait non plus. C’était une situation de blocage. Il était préférable que je laisse ma place rapidement, ce qui a été fait le 11 février 2020, si ma mémoire est bonne.

Ne pouviez-vous pas cohabiter ?

Disons que je voyais débarquer des mecs avec qui je n’avais pas envie de travailler. Ces gens-là ne faisaient pas partie de ma culture, de mon ADN. Je crois que j’avais aussi beaucoup moins d’envie. Je le reconnais. À tout dire, dans ma tête, j’ai vraiment quitté le RCT en 2019 lorsque j’ai vendu mes parts du club.

Vous allez retrouver des supporters que vous avez fait rêver au temps de votre présidence alors que ces derniers sont aujourd’hui, pour la plupart, en colère face aux résultats du club. Quel est votre sentiment quand vous voyez ces supporters déchirer leur carte d’abonné ?

Cela me fait de la peine. Vraiment. J’aime ce club. Maintenant, vous savez à Toulon tout est différent. Il y a toujours un peu d’exagération. Je crois l’équipe encore capable de se qualifier pour la phase finale. Le calendrier me semble plutôt favorable. Après, ces derniers temps, le club n’a pas été malveillant, mais très maladroit dans sa communication. La nouvelle direction a sans doute confondu supporters et client. On ne parle pas à un supporter comme à un client. Toulon est un club atypique, il faut faire du sur-mesure. Dans d’autres clubs, tu peux te permettre de faire du préfabriqué. Pas ici. La culture toulonnaise est spéciale. Or, pour les gens qui sont arrivés, c’était voyage en terre inconnue. Un Normalien a sans doute de bonnes idées, mais encore faut-il comprendre et s’adapter à l’écosystème. Or, ceux qui sont arrivés sont très bons pour créer des factures, beaucoup moins pour faire rêver.

On vous sent encore en colère après toutes ces années passées loin du club…

Non, mais je ne comprends la direction où le club veut aller. Je vous donne un exemple : l’an dernier, le RCT a créé un « Hall of fame ». Superbe idée. Mais c’est vivre sur l’héritage du passé. Au rythme où ça va, il n’y aura pas d’autres « hall of fame ». Quel était l’intérêt d’organiser un tel événement sinon pour se faire plaisir et rencontrer les joueurs qui ont fait la gloire passée du club. Ce que les gens doivent comprendre, c’est que lorsque le président actuel déclare combler les comptes du RCT, il comble les trous de ses erreurs ou maladresses de gestion. Ça me conforte dans l’idée qu’un président doit présider au quotidien. Un club de sport, c’est aussi une entreprise de spectacle. Ça obéit à des règles atypiques. La première, c’est de ne pas chercher à gagner de l’argent. D’abord, il faut vouloir donner du bonheur aux gens. C’est de l’altruisme. Quand tu donnes du bonheur, les gens viennent et reviennent. Ils adhèrent. Et là, le club commence à gagner de l’argent. Si j’avais été encore président du RCT, samedi, c’est Aya Nakamura qui aurait chanté à l’entrée des joueurs.

Les supporters toulonnais ont fait une banderole en hommage à Mourad Boudjellal
Les supporters toulonnais ont fait une banderole en hommage à Mourad Boudjellal Icon Sport - Alexandre Dimou

Pourquoi ?

Elle est dans l’actu et ça correspond à l’image d’un club un peu rebelle comme le RCT. Pour moi, dans le Top 14, il y a 13 clubs et le RCT. On doit rester le petit village gaulois. Or, même si les nouveaux dirigeants surfent sur le mantra « Ici, tout est différent », ça ne l’est plus. Tout a été aseptisé. Je crois que les dirigeants auraient dû tout changer et faire un RCT à leur image, sans vouloir surfer sur la vague du passé. Je me souviens avoir tenu ce propos à Thomas Savare lorsqu’il était président du Stade français. Il continuait de faire du Guazzini, mais personne ne peut faire du Guazzini aussi bien que l’intéressé.

Quels sont aujourd’hui vos rapports avec Bernard Lemaître ?

Aucun sinon les nombreuses procédures qu’il me fait. Et je dois reconnaître qu’en termes de mauvaise foi, il a une imagination très créative.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Non, car j’ai toujours cette volonté de protéger le club. Seulement, depuis que Bernard Lemaître a repris le RCT, il cherche sa légitimité. Aujourd’hui, il l’a peut-être trouvé par la dépendance financière du club qu’il a créé mais pas par sa compétence. Il a investi, dépensé et même gaspillé beaucoup d’argent, je le reconnais. Je pense qu’il n’a pas conscience l’économie locale. D’ailleurs, jamais personne ne l’a vu faire ses courses sur le cours Lafayette, qui est le baromètre de la ville. Toulon, ce n’est pas Lyon, ni Marseille. Ce n’est pas Bordeaux, ni Paris. L’économie est plus limitée. À mon époque, nous avions la chance d’avoir quelques partenaires d’envergure nationale, dont certains sont restés. Mais c’était exceptionnel. Il faut ancrer le RCT dans l’économie locale car le jour où il ne sera plus là, le plus tard possible évidemment, il ne faudrait pas que le club se retrouve en dépôt de bilan. Ce qui est valable dans beaucoup de clubs malheureusement, pas seulement pour Toulon.

C’est à dire ?

Le rugby repose beaucoup sur des mécènes. Lorsque je siégeais à la Ligue, j’avais d’ailleurs proposé que les engagements de cautions soient pris sur la durée des contrats et non sur l’année en cours pour tous les clubs où il y avait un mécène. Quand tu signes un joueur cinq ans, tu cautionnes autant. Sinon, c’est trop dangereux pour le club. Aujourd’hui, pour ce qui concerne le RCT, Bernard Lemaître a créé beaucoup de charges sans créer de produits qui vont dans la colonne d’en face. Il est là le problème. Si le mécène quitte le club et que le club ne peut assumer les contrats, le contractant abandonnera ses salaires ou attaquera-t-il le club, quitte à le mettre en difficultés financières ? Et puis, je crois que le Campus est surdimensionné par rapport à ce que le club peut assumer.

Pouvez-vous développer ?

Ce que je sais, c’est que le club a emprunté six millions d’Euros sur 20 ans pour ce centre d’entraînement. C’est colossal en termes de charges sans même parler des charges de fonctionnement. J’aurais sans doute fait quelque chose d’un peu moins ostentatoire si j’avais encore été en place car je n’aurais pas eu besoin qu’on me dise que c’est le plus beau centre d’entraînement. Moi, président, ce qui m’intéressait, c’étaient les résultats.

Derrière quel club pousserez-vous samedi, celui de Bernard Laporte ou le RCT ?

Je suis né à Toulon et surtout je suis en conflit avec Bernard Lemaître mais pas avec le RCT. La moitié de l’équipe est composée de joueurs dont j’ai signé le contrat. Villière, Ollivon, Gros, Isa, Serin, Rebbadj et j’en oublie beaucoup. Et ce ne sont pas les plus mauvais. Au contraire. Je serai donc à fond derrière le RCT.

"J'espère que je ne serai pas sifflé"

Comment vivez-vous le retour à Toulon de Bernard Laporte, l’entraîneur emblématique des années Boudjellal ?

Il était revenu avec la casquette de président de la FFR, mais c’est la première fois qu’il reviendra avec un autre club. Il n’y a pas de hasards : dans quelques semaines, on va fêter les 10 ans du doublé. On s’est vu il y a une quinzaine de jours et quand nous en avons parlé, on avait tous les deux beaucoup d’émotions au fond de nous. J’espère qu’il ne se trompera pas de vestiaire en arrivant samedi (rires). J’espère que les Toulonnais sauront lui réserver un accueil à la hauteur de ce qu’il a apporté au club.

En doutez-vous ?

Non, j’ai d’ailleurs une image qui me reste en mémoire. Lors du premier match à Toulon après notre premier titre de champion d’Europe, lorsque Bernard a monté les marches pour s’installer à sa place en haut de la tribune, les gens se sont levés un a un sur son passage jusqu’à former une vague. C’était magnifique.

Et vous, aurez-vous de l’émotion samedi ?

J’ai pu y retourner il y a peu lorsque j’étais président du club de football d’Hyères pour négocier de pouvoir jouer notre match de Coupe de France contre l’Olympique de Marseille. Je m’étais baladé un peu dans la salle de presse et les vestiaires. Ça m’avait fait bizarre. Malheureusement, nous n’avions pu y jouer.

Et samedi ?

J’appréhende un peu. Je me suis vraiment éloigné du RCT et du monde du rugby. J’ai gardé une chronique sur Eurosport parce que ç’a m’amuse. Aujourd’hui, je suis revenu dans le monde de l’édition et j’y prends beaucoup de plaisir. Tout comme je prends énormément de plaisir à regarder tous les matchs de rugby à la télévision, mais surtout ceux du RCT.

Ne préféreriez-vous pas les suivre depuis les tribunes de Mayol ?

Non ! J’ai autant d’émotions à les suivre à la télévision, sauf le dimanche soir car c’est toujours trop tard (rires). Je regarde le RCT avec des yeux de chimère. Les Toulonnais sont toujours les plus beaux et les plus forts. Je leur trouve une excuse à chaque défaite, souvent c’est à cause de l’arbitre (rires).

Où serez-vous placé samedi ?

Je serai en tribune « Bonnus » avec mon épouse et un ami. Et je compte bien faire entendre ma voix pour soutenir le RCT. Je sais que des gens ne m’apprécient pas vraiment, j’espère que je ne serai pas sifflé. Je vois bien ce qui se dit sur les réseaux sociaux. Certains pensent que je me suis enrichi avec le RCT, alors que c’est le contraire. Aujourd’hui, je suis d’ailleurs toujours caution d’un crédit à hauteur de 6 millions d’euros contracté dans le cadre de la construction du RCT Campus. Mais je me suis enrichi d’un superbe palmarès et d’une aventure extraordinaire, que personne ne pourra jamais m’enlever.

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Les commentaires (21)
Mycupj Il y a 1 mois Le 22/03/2024 à 18:48

M. Boudejellal est souvent caustique, c'est le principe de ses commentaires sur euro sport, ils ont le mérite de bousculer un peu le monde du rugby . . . cela est utile et salvateur !
Par ailleurs si l'on en juge par ses belles réussites dans le business, à n'en pas douter c'est quelqu'un d'intelligent, perspicace et doué. Le reste est littérature !

unepunk Il y a 1 mois Le 22/03/2024 à 12:58

Très bel interview avec Mourad, qui n'a pas sa langue dans sa poche, comme à son habitude. Il a beaucoup de défauts, certes, mais il a compris comment ça fonctionne dans le Rugby à Toulon et il a eu tout bon, avec toutes ces finales et tous ces titres pendant sa présidence. Que le nouveau en prenne de la graine car pour le moment, c'est médiocre et surtout ça ne ressemble pas à Toulon.

Mycupj Il y a 1 mois Le 22/03/2024 à 12:11

Chimère ou chimène ? ? ?