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Roman d'un club - L’état de grâce de Lourdes

  • À haut à gauche : les Lourdais champions en 1968. Attitude décontractée pour une génération fière d’avoir imité sa devancière.En bas à gauche, Roland Crancée fêté en 1960. Au milieu, Michel Crauste et André Herrero avant la finale Lourdes-Toulon de 1968. En bas, l’équipe championne en 58. À droite Antoine Béguère, maire, président et mécène du club. En haut à gauche, Jean Prat porté en triomphe dans les années 50. En bas, Jean et Maurice Prat, la fratrie emblématique des années d’or du FCL. Jean Gachassin, petit lutin vedette de la deuxième. Photos archives Midi Olympique et La Dépêche du Midi
    À haut à gauche : les Lourdais champions en 1968. Attitude décontractée pour une génération fière d’avoir imité sa devancière.En bas à gauche, Roland Crancée fêté en 1960. Au milieu, Michel Crauste et André Herrero avant la finale Lourdes-Toulon de 1968. En bas, l’équipe championne en 58. À droite Antoine Béguère, maire, président et mécène du club. En haut à gauche, Jean Prat porté en triomphe dans les années 50. En bas, Jean et Maurice Prat, la fratrie emblématique des années d’or du FCL. Jean Gachassin, petit lutin vedette de la deuxième. Photos archives Midi Olympique et La Dépêche du Midi
  • L’état de grâce de Lourdes
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Publié le Mis à jour
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Entre 1945 et 1968, le FC Lourdes a connu une vraie période de grâce avec huit boucliers de brennus gagnés par deux, voire trois générations. Retour sur vingt-cinq ans extraordinaires initiés par la rencontre de deux personnages Antoine Béguère et Jean Prat.

Lourdes, ne fut pas que la ville d’un seul miracle. Après l’apparition de la vierge à Bernadette Soubirous en 1858, la ville abrita une deuxième rencontre exceptionnelle. Celle d’un élu entrepreneur, Antoine Béguère et d’un joueur hors-norme Jean Prat. Toute l’aventure est partie de ces années 40 qui ont fait naître le mythe. Le FC Lourdes a prospéré sur une certaine idée, exigeante, du jeu de rugby et sur le soutien d’une élite locale : les hôteliers, qui avaient bâti leur fortune sur l’hébergement des pèlerins venus de l’Europe entière.

Antoine Béguère lui, était entrepreneur, maire, sénateur et président du club. Peu de chantiers locaux lui échappaient, et une partie de ses bénéfices allaient dans les caisses du club, rien ne l’empêchait à l’époque. C’était la touche finale d’un système bien rodé. L’exemple lourdais illustre la puissance de ce qui était la richesse du rugby tricolore. Le club était le fruit magnifique de la prospérité locale fondée sur l’hôtellerie et le commerce. Emile Zola en personne vint faire un reportage sur le sujet en 1891 - 1892.

Le FC Lourdes a prospéré sur une certaine idée, exigeante, du jeu de rugby et sur le soutien d’une élite locale : les hôteliers, qui avaient bâti leur fortune sur l’hébergement des pèlerins venus de l’Europe entière.

Les hôteliers étaient dirigeants et partenaires du FCL. L’alliance dépassa le seul amour stricto sensu du rugby car à Lourdes, on avait inventé un statut unique au monde, le rugbyman gendre d’un hôtelier. « Ce fut le destin heureux de la plupart des joueurs », poursuit Michel Corsini, ancien postier et historien du FC Lourdes. Épouser la fille d’un gars qui faisait profession d’accueillir des pèlerins venus d’Italie ou de Belgique, c’était le statut idéal pour bien vivre sans se tuer à la tâche. Les frères Prat et Labazuy, Martine, Domecq, Rancoule étaient donc les lointains bénéficiaires des visions de Bernadette Soubirous qui n’avait sans doute jamais entendu parler de rugby. Mais grâce à elle, le FCL esquissa le professionnalisme.

Les footings et les combinaisons de jean Prat

Jean Prat s’entraînait en solo tous les jours avec des footings impitoyables. Il avait la haute main sur l’équipe en collaboration avec Henri Laffont, l’entraîneur officiel. Pendant ces douze années dorées, le FCL mit au point un jeu hyperoffensif, mais il ne reposait ni sur l’improvisation, ni sur l’instinct, ni sur des principes généraux comme on le recommande aujourd’hui. Ses bases étaient mécaniques et horlogères : les combinaisons étaient répétées sans relâche à l’entraînement, Prat et Laffont les suivaient chronomètre à la main, pour respecter le tempo des passes. Les noms de codes claquaient comme à la guerre : « Opération Casquette » (le surnom de François Labazuy), la « cla », la « Jeanjean ». Privés de vidéo, les adversaires attrapaient le tournis. Si l’ailier ne marquait pas en bout de ligne, il avait recours au fameux coup de pied de recentrage.

Au delà des résultats, le FCL était une attraction en soi, le visage de l’excellence par opposition au rugby de tranchées pratiqué par ses concurrents. Jean Prat était l’exigence faite homme, dur avec lui-même, dur avec les autres. Il ne mettait pas les formes aussi bien dans son club qu’en équipe de France d’ailleurs. Sa hantise ? Qu’un joueur se fasse prendre avec le ballon. Si ça arrivait trop souvent : la sanction tombait, on était viré de l’équipe.

Soixante ans après, le stade Antoine-Béguère est quasiment identique à celui qui avu jouer les frères Prat. Seules les images des internationaux ont été peintes sur les murs depuis. Michel Corsini, se souvient de ses dix ans quand son père l’amenait voir l’équipe de sa ville. Une phalange qui a laissé une trace presque indélébile dans l’histoire du rugby français. Une statistique dit tout de ce destin quasi-miraculeux. L’équipe de Jean Prat n’a pas connu la défaite sur sa pelouse pendant douze années, entre 1948 et 1960. Si l’on compte la Coupe de France et le Challenge Yves-Du-Manoir, la série englobe aisément plus de cent matchs. « Quand ça s’est arrêté, contre Béziers, j’en ai pleuré, un monde s’effondrait. Même si en fin de saison, nous avons été quand même champions. » raconte Michel Corsini. OK, ce n’était pas le championnat d’élite d’aujourd’hui, on n’écrit pas ça pour dévaloriser la récente performance de Clermont entre 2009 et 2014 (75). Mais douze ans d’invincibilité, c’est quand-même un pan d’histoire. Mais cette litanie de victoires ne tenait pas du miracle, même si elle donnait lieu elle aussi à son propre pèlerinage. « Les clameurs du public couvraient parfois les chants religieux, nous expliqua notre collaborateur Denis Lalanne, chroniqueur privilégié des années fastes du FCL. Je me souviens du match contre Mont-de-Marsan qui accueillit 20 000 personnes, en 1958. Il y avait tellement de monde qui voulait entrer que le président a décidé d’ouvrir les portes, il craignait une émeute. » Michel Corsini ajoute : « Impossible de savoir combien de personnes ont assisté à ce match, tant il y a eu de resquille. » Henri Gatineau, ex-rédacteur en chef de Midi Olympique précise : « Ce stade était une cathédrale, le public n’y était pas aussi chauvin qu’ailleurs. C’était une académie, l’atmosphère y était plus solenelle que passionnée. »

Désormais, Michel Corsini se redonne du baume au cœur en se disant que, si l’on ne voit plus de rugby de haut niveau au stade Antoine-Béguère, on peut encore y jouir d’un décor de carte postale : « Les trois sommets, le Pic du Ger, le Pic du Béou et le Pic du Pibeste, avec entre eux et nous le vol des palombes. Le Pic du Ger, Jean Prat l’a gravi tous les jours quasiment jusqu’à sa mort pour rester en forme. » Ils sont de moins en moins nombreux ceux qui ont connu ce stade plein. Denis Lalanne décédé en 2019, en faisait partie : « Les matchs y étaient magnifiés par le cadre majestueux, la blancheur de ces pics enneigés sur lesquels le soleil venait parfois taper. À l’époque, le stade nous paraissait très grand, très moderne, très aéré, presque futuriste. À côté de lui, le vieux stade Sarrouilh de Tarbes avait l’air rabougri. »

La modernité des annees 50

Il faut bien le comprendre. Lourdes, aujourd’hui, c’est du passé. Mais dans les années 50, le club était hyper moderne. Ce stade qui incarne aujourd’hui la nostalgie était à la pointe du progrès quand il sortit de terre, un peu comme l’équipe dont il était le théâtre. Rarement une enceinte aura été aussi intimement liée avec ceux qui ont forgé sa légende : « C’était un peu la cour de ferme de la famille Prat », résume Henri Gatineau. Le terrain avait été acheté en 1942 aux parents de Jean et de Maurice, dont le nom signi-fie « pré » en occitan. Elle avait d’ailleurs gardé la propriété d’une pâture voisine qui servait de… parking. « Je me souviens de la file de voitures qui convergeaient vers le stade et du père des frères Prat, que je comparais au vieux Dominici, celui du célèbre fait divers. Je le revois, là, avec son bâton, qui se postait à l’entrée et qui demandait une pièce à chaque conducteur. » Denis Lalanne ne se souvenait pas du montant de l’octroi. Michel Corsini l’évalue à un franc de l’époque. Le terrain de la famille Prat existe toujours, Maurice Prat y a installé un camping, mais quand les circonstances l’exigent (finales de Fédérale par exemple), sa famille continue d’ouvrir sa porte aux véhicules des supporters. Ce stade, il avait été construit en 1949 par l’entreprise d’Antoine Béguère évidemment. La boucle est bouclée. « Il dégageait de la puissance mais il était toujours très calme. Son autorité s’imposait naturellement. Il avait su éviter une grève de l’équipe de France des Lourdais en 1958 à cause d’un accrochage entre Jean Prat et Lucien Mias », poursuit Denis Lalanne.

à son actif figure aussi la grande basilique souterraine mais il fut surtout très fier d’inaugurer, pour son FCL, des tribunes sans pilier, vraie innovation technologique en ce début des années 50. « Le stade ne portait pas encore son nom, mais celui de Lucien Pourxet », rappelle Michel Corsini. Le stade n’a reçu le nom de Béguère qu’après la mort du grand mécène. Evenement dont Denis Lalanne fut presque le témoin : « C’était un Lourdes-Agen je crois. Il s’est assis devant moi, enveloppé dans une houppelande. Je lui ai demandé comment il allait. Il m’a répondu : « Comme un vieux », d’un air un peu las. À la mi-temps, il a disparu. Après le match, nous avons appris qu’il était mort. (Il n’avait que 59 ans, NDLR). J’ai titré : « Décès d’un grand président, naissance d’un grand ailier ». Car ce jour-là, j’ai découvert Jean Gachassin, 19 ans. »

Ce long cercle vertueux n’était pas pour autant paradisiaque. Jean Prat était un montagnard rude, parfois rustre qui n’avait rien d’un diplomate. Les rapports étaient parfois tendus. Jean Prat avait un jour mis une gifle à son frère qui n’avait pas respecté une consigne. « On a su bien après que tout le monde n’était pas copain dans l’équipe. Il y avait trois clans. Mais ça ne transparaissait pas, comme on n’a jamais su le montant des enveloppes qu’ils touchaient », détaille Michel Corsini. Antoine Béguère tenait décidément bien ses hommes. Mais le grand Lourdes fascinait par sa maîtrise. Il envoyait même des avants en sélection (Manterola, Domec, Barthe). Dans le rugby désordonné de l’époque, il imposait son style brillant et implacable. Y avait-il dans le monde un club, une province, qui aurait pu rivaliser ? On ne le saura jamais. Un siècle après l’apparition de la Vierge Marie (1858), Lourdes semblait évoluer dans un jardin d’Eden : son miracle le plus fascinant ? Que le FCL fut collectivement plus fort que le XV de France de l’époque.

1960 et 1968 deux titres de plus sans Jean Prat

On a coutume de dire que le Grand Lourdes s’est arrêté avec le titre 1960 face à Béziers. Mais Jean Prat avait déjà arrêté, Maurice aussi. Jean Barthe et Papillon Lacaze, étaient passés à treize. François Labazuy avait opté pour Tarbes. Pour les puristes, c’était déjà une autre époque. C’est le titre 58 face à Mazamet qui aurait marqué la fin du Grand Lourdes.

En 1960, Roger Martine, Henri Domec, André Labazuy était toujours-là,. Michel Crauste et Arnaud Marquesuzaa étaient arrivés du Racing, si fiers qu’on ait pensé à eux. pour rejoindre ce cénacle. Le grand Roland Crancée (1,94 m) faisait figure de nouveauté..

Mais il ne faut pas oublier que la même année, Lourdes fut aussi champion de France Reichel. L’école lourdaise dépassait donc la génération dorée. Ces jeunes Lourdais en bavaient aux entraînements. Ils l’assimilaient au bagne, tant les exercices de passes étaient implacables. Ironie du sort, ils furent quasiment tous obligés de s’exiler car ils se sentirent barrés par les anciens qui n’avaient pas encore fini. Et c’est une autre génération, celle de 1968 qui offrit le dernier titre, sous la houlette de Michel Crauste, 34 ans, avec Jean Gachassin à l’ouverture. (Il était venu en voisin de Bagnères-de-Bigorre dès 1961). Roger Martine entraînait, Maurice Prat n’était pas loin derrière.

Dans le rugby désordonné de l’époque, le FC Lourdes imposait son style brillant et implacable. Y avait-il dans le monde un club, une province, qui aurait pu rivaliser ? Lourdes semblait évoluer dans un jardin d’Eden : son miracle le plus fascinant ? Que le FCL fut collectivement plus fort que le XV de France de l’époque.

On a alors souvent décrit que Lourdes était un club spécial à cause du poids des anciens. Certains ne sautaient pas de joie, à l’idée que des jeunes puissent les égaler. D’autres semblaient le souhaiter mais leurs exigences étaient telles qu’elles finissaient par être contre-productives.

Mais la réussite de la génération 68 prouve à quel point l’esprit saint du Grand Lourdes s’était infusé dans la cité. Michel Corsini poursuit : « C’est simple, à Lourdes, tu étais obligé de jouer au rugby. Les gars les plus doués ne pouvaient y échapper. Un gars comme André Campaès jouait à la pelote, Au basket, au hand. Mais il a donné la priorité au ballon ovale. Pareil pour Michel Hauser, et Michel Arnaudet ; ils étaient doués en tout. » La loi des fiefs historiques jouait à plein, c’était le bouillon de culutre par excellence. En plus, la promotion sociale rendait le rugby incomparable : « Ce n’était pas vraiment des valises de billets qui circulaient. Mais par exemple, si vous vouliez tenir un bar, il y avait tout de suite trois ou quatre dirigeants qui seprortaient caution pour vous à la banque. » En 1969, les jeunes trois-quarts, osèrent une "grêve" contre le glorieux Roger Martine. Grosse crise, qui marqua une vraie rupture. Maurice Prat reprit même du service à 42 ans. Le club eut du mal à s’en remettre. Il connut une autre courte période dorée dans les années 80 (Berbizier, Garuet, Armary, Caussade). Mais ce n’était plus le même style, plus tout à fait la même histoire, même si les édiles lourdais restaient fiers de leur club. Il n’y eut pas de titre, ni de place en finale. Un Du-Manoir en 1981 tout de même. Mais le déclin historique était en marche, inéluctable. On attend encore un nouveau miracle. Même si la toute dernière performance y ressemble un peu. Un maintien en Fédérale 2 sans gagner un match. Ca ressemble à un miracle, mais ça n’en n’a pas le goût.

* Il a écrit "FC Lourdes XV, un siècle de rugby" avec Jean Abadie.

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