Abonnés

Radradra : « Je travaillais dans les mines d'or pour 2 dollars de l'heure »

  • Radradra : « Je travaillais dans les mines d'or pour 2 dollars de l'heure »
    Radradra : « Je travaillais dans les mines d'or pour 2 dollars de l'heure » Patrick Derewiany / Midi Olympique
Publié le Mis à jour
Partager :

Aussi rare dans les médias qu’éblouissant sur le terrain, le phénomène fidjien, promu capitaine par Vern Cotter, nous a livré une interview exclusive. Il y raconte son enfance fidjienne, ses origines modestes qui le poussèrent à travailler dans les mines d’or pour deux dollars de l’heure, et son changement brutal de vie quand il fut repéré par un recruteur australien sur une simple photo. Rencontre avec un joueur humble, mais aussi un féroce compétiteur qui ne cache pas son admiration pour son futur adversaire, Virimi Vakatawa.

Comment se passe votre préparation ?Entre les cas de Covid-19 détectés il y a dix jours et l’annulation de votre match de préparation contre le Portugal, on l’imagine bouleversée…

Nous nous préparons du mieux possible. L’annulation de notre match contre le Portugal a été regrettable, c’est vrai, car cela nous aurait fait du bien. Mais il faut faire avec. Il fallait penser à la santé de tous et surtout ne pas mettre notre participation à l’Autumn Nations Cup en danger. On s’est entraîné dur à la place, et insisté sur le fait de s’approprier notre système de jeu. Nous avons un nouveau coach, un nouveau staff et de nouveaux joueurs dont certains sont très jeunes qui apportent une énergie nouvelle. Nous avons donc beaucoup à faire, pour apprendre à nous connaître et à jouer ensemble.

Avez-vous déjà identifié des différences entre l’ancien sélectionneur John McKee et Vern Cotter ?

C’est la première fois que je travaille avec Vern mais on voit qu’il possède une grande expérience du niveau international. Il nous a déjà apporté beaucoup en identifiant des faiblesses que l’on doit corriger, des détails qui font les différences. En même temps, on veut aussi rester agréables à voir jouer… C’est une tradition pour l’équipe des Fidji. Elle doit pratiquer un rugby spectaculaire. C’est dans notre ADN et Vern veut garder cet héritage. Il nous reste encore beaucoup de travail pour être compétitifs, mais on va y arriver.

Vern Cotter a toujours été très impliqué dans le jeu d’avants, vous attendez-vous à ce qu’il vous fasse progresser dans le secteur ?

N’importe quel coach est aujourd’hui très impliqué dans le secteur de la conquête. C’est tellement important… Mais tout le monde sait que si nous avons la meilleure ligne d’attaque au monde, ce n’est pas encore le cas de nos avants et ces derniers ont bossé très dur pour se montrer à la hauteur du pack français. Nous savons ce que les Bleus vont nous opposer. Leurs avants figurent parmi les meilleurs au monde.

Serez-vous prêts, malgré cette préparation perturbée ?

Nous le serons. Nous serons même prêts à affronter n’importe qui. Nous avons de la chance d’être là, de participer à cette grande compétition. Cela fait longtemps que les Fidji n’ont pas affronté autant d’adversaires prestigieux à la suite. On ne veut pas laisser passer cette opportunité, et montrer à tout le monde que l’on mérite notre place dans ce tournoi.

Vous avez évolué trois saisons en France, vous connaissez donc bien vos futurs adversaires, et notamment Virimi Vakatawa, votre futur vis-à-vis...

Oui, je le connais bien. C’est l’un des meilleurs centres au monde à l’heure actuelle, si ce n’est le meilleur de tous. J’adore le voir jouer avec le Racing et la France. Ses performances ces dernières semaines ont été impressionnantes. On donnera notre meilleur pour l’arrêter. Et pas que lui… On devra arrêter toute la ligne d’attaque des Français, qui est excellente en ce moment. Ce match sera un grand test pour nous. On a hâte.

Comprenez-vous son choix de jouer pour la France et non pour les Fidji ?

C’est son choix personnel, et je le respecte. Je n’ai rien à redire là-dessus. Si j’avais été à sa place, j’aurais certainement fait le même choix. S’il l’a fait, c’est qu’il a estimé que c’était bon pour lui et pour sa famille. On ne peut pas en vouloir aux joueurs fidjiens qui jouent pour l’Australie, la Nouvelle-Zélande, ou l’Angleterre. Ce sont des décisions personnelles que l’on doit respecter.

Quel regard avez-vous porté sur les deux derniers matchs des Bleus ?

Je les ai regardés avec attention. Votre équipe de France est impressionnante. À mon sens, c’est la meilleure équipe d’Europe. Elle aurait dû remporter le Tournoi, elle le méritait. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vue à ce niveau, avec un bon mélange entre de jeunes joueurs très talentueux et d’autres plus expérimentés.

Vous croyez qu’Antoine Dupont a du sang fidjien ?

(rires) Il pourrait, c’est vrai ! Mais en France, vous avez toujours eu des joueurs de ce genre, capable de trouver des brèches n’importe quand. Après, il faut aussi reconnaître que ses avants lui facilitent beaucoup le boulot. Notre tâche, en tant qu’équipe, sera d’empêcher le pack français de faciliter le boulot à Dupont. On veut lui rendre la tâche plus difficile…

Vous souvenez-vous de ce soir de novembre 2018 où vous avez battu, pour la première fois de l’histoire, l’équipe de France à Saint-Denis ?

Je m’en souviendrai toute ma vie. Ce fut très spécial. Comme vous l’avez dit, on a marqué l’Histoire. Mais ces moments appartiennent au passé, cela ne reviendra pas. Battre une équipe du Tier 1 chez elle, c’est très rare. Mais cela nous a aussi montré que nous étions capables de le faire. On doit apprendre de cette victoire. Il y a un proverbe qui dit : « Rien n’est impossible quand le cœur a décidé de gagner. »

Vern Cotter a décidé de vous nommer capitaine. Comment prenez-vous ce nouveau rôle ?

Honnêtement, je n’y croyais pas quand il me l’a dit. J’ai senti les larmes monter… C’est un immense honneur, et un privilège. J’étais tellement surpris… Je compte à peine 10 sélections avec cette équipe ! Je trouve que c’est arrivé vite… Je ne pouvais pas refuser, mais je lui ai aussitôt répondu que j’avais besoin d’autres mecs pour conduire cette équipe, pour me soutenir. Nous avons de bons gars ici, et je ne ferai rien si je suis seul.

Il est vrai que vous n’avez que 10 sélections…

Oui, c’est vraiment tôt pour moi ! Je ne pensais pas que cela arriverait aussi vite. Mais encore une fois, je ne ferai rien sans le groupe : s’il me soutient, je tiendrai mon rôle. Dans le cas contraire, je rendrai le brassard volontiers.

Quand vous regardez en arrière, quel sentiment gardez-vous de la dernière Coupe du monde ?

Nous étions tous tristes. Nous savions qu’on aurait dû être meilleurs que cela, contre l’Australie et l’Uruguay. Ces moments n’arrivent qu’une fois dans une vie, et on est passé à côté. Cette défaite contre l’Uruguay me fait encore mal, et je ne suis pas le seul dans ce cas. Mais il faut apprendre de cette défaite et faire mieux pour la prochaine Coupe du monde.

Le défi majeur des Flying Fidjians ne serait-il pas d’être plus constants ?

Les « Flying Fidjians » comme vous venez de le dire, c’est une marque. Cela veut dire que cela va vite, que cela tape fort et que c’est compétitif. On veut imiter nos frères du rugby à VII, et devenir la meilleure équipe au monde. Notre équipe de Seven a mis notre pays sur la carte du monde. Donc oui, nous devons être plus constants afin de nous installer durablement avec les nations du Tier 1.

Racontez-nous votre enfance…

Je viens d’un village appelé Somosomo, situé sur l’île de Taveuni. On dit de mon île qu’elle est le « jardin des Fidji ». Il y a une fleur qui ne pousse que là-bas et je suis fier de dire que je viens de Somosomo. J’ai grandi comme tous les gamins de mon âge en me passionnant pour le rugby. Je n’étais pas bon à l’école, j’étais bien meilleur dans les travaux de la ferme. Je suis le troisième d’une fratrie de sept, avec quatre frères et deux sœurs. Mon grand frère a toujours eu des problèmes de santé, alors c’était à moi d’apporter la nourriture sur la table. Secrètement, j’espérais devenir un grand joueur de rugby. J’ai été repéré dans mon village et je suis allé jouer pendant deux ans pour une école située sur l’île principale, à deux jours de bateau. Là, j’ai joué au rugby, mais cela n’a pas été suffisant…

Que voulez-vous dire ?

Ma famille avait besoin d’argent et l’agriculture ne suffisait plus alors je suis allé travailler dans les mines d’or de Vatukoula, au nord de l’île principale. J’avais 16 ou 17 ans, et je gagnais deux dollars de l’heure. On descendait tous les matins à 7 heures à 100 mètres sous terre, sans jamais savoir si on allait remonter. Nombre de gens sont morts là-dessous. J’ai travaillé pendant huit mois dans ces mines, mais cela m’a marqué. Je partageais mes journées entre la mine et le rugby, et j’envoyais mon salaire à ma famille. C’était dur. Mais cela m’a formé. Quelques mois plus tard, j’ai été retenu avec les moins de 20 ans fidjiens pour disputer la Coupe du monde 2011 en Italie. Et ma vie a changé…

On raconte que vous avez été recruté par un dirigeant des Parramatta Eels, la franchise australienne de rugby à XIII sur une simple photo de ce fameux Mondial… Est-ce vrai ?

Oui, c’est vrai. Ce dirigeant avait vu une photo de moi avec les moins de 20 ans et avait trouvé mes jambes très musclées pour mon âge. Il a fait un pari, m’a appelé et m’a demandé si j’avais envie de jouer à XIII. Je lui ai répondu que je n’y avais jamais joué, et que je n’avais même jamais vu de match à XIII… Il m’a dit : « On va t’apprendre. » Quelques heures plus tard, je recevais un billet d’avion qui me faisait partir le lendemain matin ! J’ai quitté les Fijdi sans même le dire à ma famille. Une fois arrivé, mon agent m’attendait avec le contrat. Quand j’ai vu la somme, j’ai pensé à ma famille qui vivait dans la pauvreté et j’ai signé tout de suite, en me disant que je pourrais les aider et que je n’aurais plus à descendre à la mine de ma vie.

Vous réussissiez à XIII, pourquoi être venu à XV ?

J’ai toujours été un joueur de XV. Même quand je jouais à XIII, je savais que j’allais y revenir et je voulais voir si j’étais capable de relever ce challenge. J’adore me lancer des défis. C’est pour cela que j’ai rejoint Toulon. Les défis me poussent à m’entraîner dur et à progresser.

Juste pour le plaisir, vous préférez jouer à quoi ? À toucher, à VII, à XIII ou à XV ?

On me pose souvent cette question et je réponds toujours la même chose : dès qu’il y a un ballon de rugby, je suis heureux.

En définitive, peu importent les disciplines ou les pays, vous avez toujours cherché à jouer au plus haut niveau possible…

Cela demande beaucoup de travail d’être le meilleur. J’essaye de le devenir, mais j’en suis encore loin. Certaines personnes me disent : « Mec, t’es le meilleur » et moi je réponds : « Mec, j’en suis encore loin. » Je suis encore en apprentissage. J’apprends les styles de jeu des autres équipes, j’étudie les autres centres… J’apprends même encore de moi-même. Et quand je vois Virimi Vakatawa, je me dis que je suis encore loin de ce gars, comme des autres meilleurs centres du monde.

Parlez-nous de votre tatouage sur la poitrine…

J’y ai inscrit « Tu peux réaliser ce que tu veux », mais écrit dans le dialecte de mon village, Somosomo. C’est très particulier, et cela me permet d’emporter partout avec moi un peu de mon village… Le reste de mes tatouages n’ont pas vraiment de sens précis. À la différence des tatouages maoris, tonguiens ou samoans, les nôtres ne veulent pas dire grand-chose : ils sont simplement des représentations de nos sculptures. Nous les portons parce que nous les trouvons beaux, et qu’ils rappellent les motifs de nos sculptures et notre culture.

Comment l’enfant de Somosomo vit cette popularité mondiale ?

À Somosomo, on me voit encore comme le gamin du village. Et je le resterai toujours. Ils savent que je joue à l’étranger, que je fais ce que je fais… Mais moi, dans ma tête, je veux rester un gamin du village. J’aime la vie fidjienne. Tous les autres Fidjiens vous le diront. La vie là-bas nous manque, même si nous sommes très bien où nous sommes en France ou en Angleterre. Nos familles nous manquent surtout. Mais grâce à nous, elles vivent mieux. C’est ce qui me maintient motivé tous les jours.

Est-il vrai qu’à l’image de Waisake Naholo, l’ailier des Blacks qui s’était fracturé le tibia en 2015, vous vous êtes soigné aux Fidji d’une fracture du bras avec des plantes médicinales locales ?

C’est vrai, oui. Nous avons la chance d’avoir des plantes médicinales qui ne poussent nulle part ailleurs. Dans les familles aussi, on trouve des gens qui sont capables de guérir les os ou les nerfs. Si elles sont bien utilisées par ces personnes, nos plantes peuvent soigner les fractures, les coupures et d’autres choses. Ce n‘est pas de la magie ou des histoires que l’on raconte pour se rendre intéressants vous savez, cela marche, c’est tout. Waisake est issu d’une famille qui soigne les os. Voilà pourquoi il est rentré chez lui pour soigner son tibia. Il l’a fait en six semaines. Et il n’y avait rien de magique là-dedans.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (1)
Olivier83 Il y a 3 années Le 09/11/2020 à 16:40

Magnifique athlète; imprévisible, véloce, solide, possède un sens du jeu exceptionnel et un bagage technique hors normes. De plus il est "beau" à voir jouer. Ce sont des joueurs comme lui qui font aimer ce sport...