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Gareth Edwards : « Notre jeu a besoin de garçons comme Dupont »

  • Gareth Edwards lors de France - Pays de Galles en 1977.
    Gareth Edwards lors de France - Pays de Galles en 1977. Avalon / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Quarante ans après la fin de sa carrière, le Gallois Gareth Edwards (73 ans) est toujours considéré comme le plus grand demi de mêlée de tous les temps. Athlète accompli, marqueur prolifique, il a gardé un œil avisé sur le rugby contemporain et, du coup de coude de Sébastien Vahaamahina à l’essai de Maro Itoje en passant par les appuis d’Antoine Dupont, le prince de Galles balaye avec nous tous les sujets d’actualité...  

Comment allez-vous, Gareth ?
Il fait beau, je respire encore, la vie est belle…

Qu’avez-vous pensé des quatre premiers matchs des Gallois dans le Tournoi ?
Ils surprennent tout le monde et ils se surprennent eux-mêmes, je pense. Il y a, bien sûr, une part de chance dans leurs victoires : ils ont affronté l’Irlande et l’Écosse en supériorité numérique. Mais de l’extérieur, ils dégagent une impression de force collective ; ils semblent solides, efficaces et très confiants.

Qui sont les joueurs clés ?
Liam Williams est un superbe attaquant, un créateur. George North fait de gros dégâts au centre, alors que son repositionnement était au départ juste un pari. Dan Biggar, auteur de cette passe magnifique pour Josh Adams, contre l’Angleterre. Devant, Alun-Wyn Jones (le capitaine) et Ken Owens (talonneur) sont les grands leaders de combat de l’équipe. Quant à notre troisième ligne (Josh Navidi, Toby Faletau, Justin Tipuric), elle rivalisera sans problème avec celle du XV de France, que j’ai une nouvelle fois trouvée superbe à Twickenham.

George North inscrit son 43e essai en sélection et permet aux Gallois de mener 32-0 dès l'entame de la seconde période ! Dan Biggar transforme facilement ! 34-0 pour le pays de Galles !

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— France tv sport (@francetvsport) March 13, 2021



Comment un pays de quatre millions d’habitants peut-il produire autant de bons rugbymen ?
Bonne question… Chez nous, comme partout d’ailleurs, les enfants jouent d’abord au football. Mais à l’école, les professeurs poussent encore, pour des raisons culturelles j’imagine, les plus jeunes à pratiquer la balle ovale ; le rugby scolaire conserve un rôle majeur au pays de Galles. Personnellement, je dois une partie de ma carrière à un professeur, Monsieur Somerville.

Comment ça ?
Il était fou de rugby. Ce n’était pas qu’un sport pour lui. C’était une façon, pour le pays de Galles, d’exister dans le monde. Alors, un jour où les Springboks venaient de gagner à l’Arms Park de Cardiff, il m’a empêché de quitter l’entraînement. Je lui ai dit que j’étais fatigué, que j’en avais fait assez et que j’allais rater le bus. Il m’a répondu : « Le renouveau du rugby gallois commence aujourd’hui, avec toi. Tu vas faire des séries de sprint et je te ramènerai ». Au retour, je me revois pleurer dans sa voiture. Mais il m’a indéniablement endurci…

Qu’avez-vous pensé du dernier Crunch ?
S’ils avaient été mieux préparés mentalement, moins perturbés par leurs histoires de Covid, les Français auraient gagné ce match. Shaun Edwards les a dotés d’un système défensif exceptionnel, très agressif et discipliné. À cela, ils ajoutent les talents de Teddy Thomas que j’adore, de Matthieu Jalibert que je découvre et d’Antoine Dupont.

Quel début de rencontre ! Antoine Dupont inscrit un superbe essai pour les Bleus après seulement une minute de jeu ! 7-0 pour le XV de France ! \ud83c\uddeb\ud83c\uddf7

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Vous l’appréciez ?
Si ce n’était pas le cas, je serais difficile… C’est évidemment le meilleur demi de mêlée du monde. Il est intelligent, doté de qualités physiques exceptionnelles et ne ressemble pas à ces types montés comme des flankers et que l’on aimait convertir en demi de mêlée, à une époque. Je n’ai jamais compris cette mode.

Pourquoi ?
Rien de mieux qu’un petit gabarit pour échapper aux gros, à l’endroit du terrain où le trafic est le plus dense. Dupont est un gymnaste dans l’âme, un acrobate : c’est ce qui me plaît.

Peut-il être le nouveau Gareth Edwards ?
Peut-être n’en a-t-il pas envie, vous ne croyez pas ? Il devrait simplement être Antoine Dupont, le plus grand joueur du rugby moderne ! Notre jeu a besoin de garçons comme lui.

Pourquoi ?
Parce que tout le monde est obsédé par la défense. L’influence du jeu à 13 ou du football américain est très nette, ces dernières années.

Vous avez été l’un des plus grands demis de mêlée de l’histoire mais on dit que votre technique de passe était loin d’être parfaite, au départ. Est-ce vrai ?
Oui. Je voulais jouer centre, quand j’étais jeune. Jusqu’à ce que Monsieur Somerville me dise que le centre le plus léger du canton faisait deux fois ma taille. Alors, je suis passé numéro 9 sur le tard. Et là, Barry John (ancien demi d’ouverture du pays de Galles) m’a beaucoup aidé.

De quelle manière ?
Je l’ai appelé un lundi matin, lui annonçant que je passerai le voir à Swansea, en fin de semaine. Quand je suis arrivé au club house, il n’était pas là. Il avait fait une grosse bringue la veille et avait simplement oublié notre rendez-vous. Alors, je l’ai attendu quelques heures et il a fini par arriver mais sans ses crampons. Il pleuvait des trombes, on est allé sur la pelouse pieds nus et là, il m’a dit de ce ton calme qui faisait sa légende : « Gareth, ne t’inquiète pas pour ta passe. Lance ton ballon. Je le rattraperai quoi qu’il arrive. » Passé ce jour, je n’ai plus jamais douté de ma passe.

Revenons au Crunch : l’essai de Maro Itoje était-il valable ou non ?
(il soupire) Je n’en sais rien. Mais normalement, la vidéo est faite pour faire disparaître les problèmes, pas pour en créer de nouveaux.

L'essai de Maro Itoje (valable ou pas) en fin de rencontre face à la France, lors du Tournoi des 6 Nations 2021.
L'essai de Maro Itoje (valable ou pas) en fin de rencontre face à la France, lors du Tournoi des 6 Nations 2021. Focus Images / Icon Sport


Auriez-vous aimé pouvoir compter sur la vidéo, dans les années 70 ?
Oui et non. Remarquez, ça m’aurait peut-être aidé à dissiper quelques malentendus : quarante ans plus tard, JPR Williams (l’arrière gallois des seventies, N.D.L.R.) croit toujours que son essai face aux All Blacks était valable…

Vous souvenez-vous de l’expulsion de Sébastien Vahaamahina, auteur d’un coup de coude face aux Gallois, en quarts de finale du Mondial 2019 ?
Oui.

Aviez-vous été choqué lorsque Jaco Peyper, l’arbitre sud-africain de ce quart de finale, fut pris en photo au soir de la rencontre avec des supporters gallois mimant le geste de Vahaamahina ?
Je connais Jaco. C’est un garçon remarquable et un super arbitre. Mais il n’aurait pas dû faire ça. Après…

Oui ?
Le geste de Vahaamahina était ridicule. Les gens de la FFR auraient pu lui mettre douze mois de suspension pour une telle bêtise ! C’est la chose la plus absurde qu’il pouvait faire.

Pourquoi avez-vous toujours refusé les ponts d’or que vous faisaient les treizistes de Saint-Helens et Wigan ? Ils vous proposaient beaucoup plus d’argent que les quinzistes.
Plus d’argent ? Malheureux ! À la fin de ma carrière, en 1978, j’ai dû verser des sous à mon club de Cardiff parce qu’il avait du mal à boucler son budget ! (rires) Quand j’étais jeune, je voulais jouer pour le pays de Galles et les Lions. Le reste m’intéressait peu et, de mon temps, si les dirigeants avaient eu vent d’un contact même épisodique avec les treizistes et le professionnalisme, j’aurais été banni…

Les treizistes étaient-ils à ce point puissants ?
On vivait alors l’âge d’or du charbon. Ces clubs du nord de l’Angleterre étaient richissimes. Quand les treizistes garaient leur énorme Mercedes devant mon petit appartement de Cardiff et que deux mecs en costard sortaient de la voiture avec leurs gros cigares cubains, j’étais comme fasciné. Mais j’avais 22 ans, mon patron payait encore mon loyer et l’argent ne m’intéressait pas.

Vous n’avez jamais regretté ? Vraiment ?
Non. Quand j’ai arrêté ma carrière, mon carnet d’adresses valait tout l’or du monde. Toutes les portes m’étaient ouvertes.

Certains de vos coéquipiers ont néanmoins fait fortune, à XIII…
Oui. Mon ami David Watkins (ancien capitaine du XV de Galles) a changé de train de vie, dès lors qu’il a signé à Salford. Sa maison était immense, ses enfants à l’abri du besoin. Mais je n’avais pas les mêmes responsabilités que lui, lorsque les dirigeants de Wigan m’ont contacté. Et puis, mes parents ont toujours voulu que je fasse de longues études. Lorsque le club de foot de Swansea m’a envoyé un contrat à la maison (il avait 16 ans, N.D.L.R.), ma mère a caché la lettre. Je ne l’ai retrouvée par hasard que des mois plus tard. Elle voulait que j’intègre l’école de Millfield, l’une des plus prestigieuses de la vallée, à l’époque.

Dans quel milieu social avez-vous grandi ?
Je suis un enfant de mineur, un enfant de Gwauncae-Gurwen. Là-bas, c’était le pays du charbon ; la rivière était souvent noire et les accidents arrivaient, sous terre. Mais on était heureux. On jouait au cricket dans le jardin du voisin, au rugby dans la rue. Quand c’était l’heure de dîner, papa se servait d’un sifflet pour nous appeler. On l’entendait à des centaines de mètres à la ronde.

Quel est, selon vous, votre plus bel essai ?
Celui marqué avec les Barbarians contre les All Blacks en 1973.

Racontez-le nous…
Leur ailier tape un long coup de pied. Phil (Bennett, demi d’ouverture gallois des Barbarians) récupère, fait demi-tour et contourne trois défenseurs. Après trois passes, le ballon arrive dans mes mains. Je ne m’y attendais pas ! J’étais persuadé que Phil jouerait au pied ! En une seconde, j’ai dû revoir mon plan de bataille et j’ai accéléré. Jusqu’à l’en-but adverse… J’ai récemment revu les images. Je ne sais toujours pas comment nous sommes parvenus à réaliser un truc pareil. Cet essai a marqué les gens. Un jour, j’ai même rencontré un jeune homme de Singapour. Il s’appelait Mike Huang. Il était né au début des années 70 et ne connaissait rien du rugby, avant de tomber sur cette vidéo. Vingt-cinq ans plus tard, son fils s’appelle Gareth et il ne manque jamais un match du pays de Galles.

Quel est votre souvenir le plus cocasse ?
Les tournées des Lions britanniques restent toutes des souvenirs merveilleux. Parmi celles-là, je retiendrais néanmoins celle de 1974, en Afrique du Sud. Notre groupe était alors très expérimenté. Willy John McBride, Gordon Brown savaient ce qu’était le rugby sud-africain. Ils nous disaient que si on détournait les yeux, si nous ne rendions pas les coups, nous étions morts.

Et ?
Ils ont inventé l’appel 99. C’était notre armure. Dès qu’un de nos joueurs était en mauvaise posture, il hurlait « 99 ! » et ses coéquipiers devaient alors se jeter sur le premier Springbok qu’ils croisaient. Un jour, contre le Transvaal, je me souviens avoir reçu un coup de poing au moment où je faisais une passe. Le temps de me relever, mon assaillant était couché. Stewart McKinney, notre flanker irlandais, avait rendu justice. Ce jeu rude n’était pas de tradition chez les Lions. Les Sud-Africains ont été pris à leur propre jeu.

Vous êtes-vous battu ?
Moi et Phil Bennett, non ! En revanche, je revois JPR Williams traverser le terrain pour frapper le deuxième ligne adverse, le colosse van Heerden !

Pourquoi « 99 », au fait ?
Au Royaume Uni, le numéro des urgences est le 999. Mais on jugeait ça trop long…

Vous êtes resté très proche de Jo Maso, Gérard Cholley et Jean-Pierre Rives. Quelle est votre plus belle anecdote, contre les Bleus ?
J’avais 40 ans. Ma carrière était finie depuis presque dix ans. Un jour de 1987, je reçois un appel de mon ami Gérard Cholley, monsieur « no problem », puisque ce sont les seuls mots qu’il connaisse en anglais. Pour son jubilé, à Castres, Gérard voulait organiser un match entre les Chelemards français de 1977 et un XV du Président, dont je ferais partie. Je lui ai dit : Gérard, je n’ai pas joué depuis vingt ans ! Il m’a dit : tu fais une passe et tu sors, no problem !

Verdict ?
Le jour de notre départ, Heathrow était bloqué par une terrible tempête. Notre avion avait trois heures de retard. On a mangé un bout à l’aéroport, puis enfourné un plateau-repas dans l’avion. À mon arrivée à Castres, quelques heures plus tard, j’ai dit à Gérard que je partais me coucher. Il m’a répondu : « reste un peu, no problem ! » On a donc commencé par du homard, puis du bœuf Chateaubriand, le tout accompagné des plus grands Bordeaux. Je suis rentré à trois heures du matin. Le lendemain, la journée a débuté avec un steak frites, suivi d’une balade en bus à Carcassonne, où un superbe restaurant de la ville nous a sorti le grand jeu. Je n’avais jamais autant mangé…

Et le match ?
Quand je suis entré, j’étais au plus mal. Et j’ai fait une passe, puis deux, puis trois… Le virus est aussitôt revenu. Je devais jouer cinq minutes et je suis resté une heure. Sur une action, j’ai feinté la passe dans nos 22 mètres, la porte s’est ouverte face à moi et j’ai percé le rideau français. J’ai fait dix mètres, vingt, trente et au moment où je suis passé devant la tribune présidentielle, j’ai entendu ma femme Maureen crier « arrête Gareth ! Arrête ! Tu vas faire une crise cardiaque ! » Tel fut mon dernier match de rugby…

Vous êtes hors-jeu !

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Les commentaires (1)
DDA92SF Il y a 3 années Le 18/03/2021 à 19:27

A good guy!