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International - Pierre-Henry Broncan : "En Australie, le regard sur la France a changé"

  • Pierre-Henry Broncan, entraîneur adjoint de l’Australie.
    Pierre-Henry Broncan, entraîneur adjoint de l’Australie. Icon Sport
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Alors qu’il a rejoint le staff d’Eddie Jones fin mai, l’ancien manager de Castres vit une expérience aussi unique qu’enrichissante. Mercredi, le technicien gersois a accepté de se confier sur cette aventure pendant plus d’une demi-heure, à un mois et demi du début de la Coupe du monde...

Comment décrire l’expérience que vous vivez ?

Déjà, c’est très intense, bien sûr parce que c’est une préparation de Coupe du monde, qu’il y a le Rugby Championship à jouer actuellement. Depuis que je suis arrivé fin mai, nous avons eu trois jours de coupure seulement. Avec les entraîneurs, nous sommes toujours ensemble, aussi avec les joueurs le plus souvent possible.

Et quel est votre quotidien ?

Je passe d’un hôtel à l’autre (sourire). Nous bougeons un peu dans le pays pour nous entraîner et sommes restés dix jours en Afrique du Sud, à Johannesbourg puisque le match contre les Springboks était à Pretoria, où c’était beaucoup moins agréable car nous étions cloisonnés à l’hôtel en raison de l’insécurité. En revanche, en Australie, c’est vraiment sympa. Ici, c’est le plein hiver.

À quoi ressemble-t-il ?

Le mois de juillet est quand même ensoleillé, avec des températures comprises entre 20 et 25 degrés. Ce n’est pas l’hiver français, ou encore mois anglais (il a entraîné à Bath entre 2018 et 2020, NDLR).

Est-ce conforme à vos attentes ?

Oui, c’est ce à quoi je m’attendais. Je savais que ce serait aussi intense, parce qu’il y a peu de temps pour se préparer et que c’est un nouveau staff. Mais c’est extrêmement enrichissant pour moi. Je vis quelque chose d’incroyable.

Avez-vous eu besoin d’une période d’adaptation ?

Heureusement, j’étais passé par l’Angleterre, donc je connaissais un peu le système d’entraînement des Anglo-Saxons et leur approche globale. Le fonctionnement est assez proche de ce que j’y avais vécu. Je n’ai pas eu de choc culturel ou de temps d’adaptation. Maintenant, je commence à avoir de plus en plus mes marques dans le pays, et notamment à Sydney, où nous avons été essentiellement basés.

Comment cela se traduit-il ?

Par exemple, j’ai rencontré personnellement l’entraîneur des avants des Waratahs. De manière générale, je discute avec des gens extérieurs au cercle des Wallabies, aussi parce que les Australiens sont très cool, ont un premier abord facile. Et leur vie est axée sur le sport.

À ce point ?

C’est un pays avec une culture et une identité sportives très fortes. Très tôt le matin, tout le monde nage, même en plein hiver, fait des footings, va à la salle de sport. Et le rugby trouve sa place là-dedans, sachant que le XV est minoritaire. Le Rugby League (rugby à XIII) et le Footy (football australien) sont les deux sports masculins les plus importants ici. Mais j’ai aussi été étonné de voir la ferveur autour du sport féminin. La Coupe du monde féminine de football australien va débuter, c’est dingue : les matchs sont en direct, les stades pleins. D’autant plus que les Australiennes peuvent viser le titre. Le rugby à XIII féminin est également très populaire.

Et le rugby à XV dans tout ça ?

Ce qui m’a choqué, c’est que tu le regardes sur le petit écran dans les bars ! Je voulais voir les matchs de phase finale de Super Rugby, donc j’allais dans un bar et je me retrouvais tout seul devant le petit écran. Les grands écrans étaient réservés au rugby à XIII et au football australien.

Depuis longtemps, vous scrutez les matchs de l’hémisphère Sud, même des championnats nationaux. était-ce un rêve de toucher du doigt ce rugby un jour ?

C’est génial de le découvrir. Sincèrement, j’ai eu une opportunité énorme, qui me permet de côtoyer un rugby différent. Au-delà de la Coupe du monde en France, il y a le Rugby Championship. En Afrique du Sud, on a vécu un gros match au Loftus Stadium. On va affronter les All Blacks deux fois, dont une à Dunedin. L’Argentine aussi le week-end dernier… Ce sont tout de même de sacrés événements, que je vis pleinement. Puis, je suis allé au rugby à XIII, voir des entraînements du Queensland ou des Blues de New South Wales. C’est impressionnant, ce sont des grosses machines, très professionnelles.

Vous devez en grande partie cette opportunité à Eddie Jones. Le découvrez-vous différemment en le côtoyant tous les jours ?

Non, je m’y attendais aussi (sourire). Il est très dur, très intense également. Il ne vit que pour ça. Eddie Jones est sans relâche, ultra-méticuleux. Après plus de deux mois, je le perçois encore mieux et je connais son fonctionnement.

Il est connu pour se lever très tôt…

J’attaque mes journées à 4 heures du matin ! Il fait avancer les choses et tu ne peux qu’apprendre à ses côtés. Au-delà de la culture et du pays, le fait de travailler avec lui est très intéressant. J’apprends beaucoup et j’ai de la chance, même si les résultats ne sont pas là pour l’instant.

En effet, vous avez perdu contre l’Afrique du Sud, puis l’Argentine. Cela vous inquiète-t-il ?

Non, je ne suis pas inquiet, ça va venir. On a des joueurs de qualité et on a besoin de plus de cohésion dans le groupe mais on ne perd pas notre temps. En tout cas, je ne perds pas le mien. Eddie sait où il veut aller et comment il veut y aller. Ces matchs permettent de jauger les mecs. Certains ont été bons en Super Rugby et sont jugés sur les matchs, d’autres moins et sont en préparation physique avant de revenir plus tard. Le groupe n’est pas énorme mais assez fourni. La sélection de 33 noms est à donner à la fin du mois, pour partir en France. Les places seront chères.

Cette liste fera-t-elle basculer le groupe dans une autre dimension ?

L’équipe manque un peu de cohésion, parce qu’il y a une cinquantaine de joueurs, que tout le monde veut être à la Coupe du monde. Mais les mecs veulent batailler. Ils ne viendront pas en touristes pour visiter la France. Eddie le sait… Après ces quatre matchs de Rugby Championship et l’annonce du groupe, le travail sur cette fameuse cohésion sera mis en place.

L’Australie sera-t-elle une candidate légitime au titre mondial ?

Pour l’instant, on fait rire du monde mais on sera prêts à la Coupe du monde, en septembre.

Vous avez déjà dit que ce groupe avait été marqué par les défaites ces dernières années…

Oui, et il y a des attitudes à changer, individuelles et collectives. Du style "on perd, ce n’est pas grave, on verra le match suivant". Eddie Jones n’est pas du tout dans cet esprit. Là, nous avons attaqué un camp d’entraînement dans le Gold Coast qui va piquer. Et plus ça va aller, plus les joueurs vont comprendre qu’il leur mettra la pression.

Certains secteurs forts ont-ils déjà attiré votre attention chez les Wallabies ?

Ils sont très "rugby à XIII". Beaucoup d’entraîneurs sortent de cette discipline, quelques joueurs aussi. Sur le domaine aérien, il y a des mecs de grande qualité. Le groupe possède pas mal de garçons à plus de 2 mètres. Vu qu’ils sont inutiles au rugby à XIII, sachant qu’il n’y a pas de touche, que le handball n’existe pas, que le basket est juste un bon championnat, ils basculent naturellement sur le rugby à XV. Sur l’alignement et les ballons hauts en général, on a des joueurs à l’aise, dont certains ont pratiqué le football australien à bon niveau.

Étant en charge du jeu offensif d’avants, c’est rassurant pour vous…

Oui, même s’il a fallu un changement d’état d’esprit sur les mauls. Ce n’était pas du tout ancré dans le rugby australien, notamment dans les clubs de Super Rugby, hormis les Brumbies.

Pourquoi ?

Stephen Larkham est l’entraîneur en chef des Brumbies et il a passé plusieurs années au Munster. En rentrant en Australie, il a apporté ce travail-là. Mais les autres sont plutôt sur du jeu large-large, sans trop de boulot sur les phases statiques. L’équipe est en train de prendre conscience de leur importance. Vous savez, ici, le jeu est piloté par les numéros 10.

Et donc ?

Ils sont à la commande du jeu. Le rugby australien a toujours été comme ça, aussi parce qu’il y a eu des grands ouvreurs comme Stephen Larkham ou Michael Lynagh. Or, le maul, pour un numéro 10, n’est pas quelque chose de connu ou d’essentiel. Mais on change la culture et on progresse là-dessus. Contre l’Argentine, nous avons effectué des bons mauls portés, commandés par les 10.

Dans ce travail, vous appuyez-vous sur les joueurs habitués au Top 14 comme le Toulousain Richie Arnold ou le Rochelais Will Skelton ?

Bien sûr, parce qu’ils pratiquent le maul dans le championnat français et l’hémisphère Nord, où c’est important. Je m’appuie aussi sur Matt Philip, passé par Pau, ou Jed Holloway, qui évolue aux Waratahs et qui est un gros joueur de conquête. D’autres sont davantage à formater sur ce secteur, qui sont des avants très à l’aise dans le jeu déstructuré. Mais ce sont des garçons de haut niveau, qui apprennent vite.

Vous préparez votre duel face aux All Blacks la semaine prochaine, qui ont impressionné face aux Springboks…

Ils ont gagné le Super Rugby, avec deux équipes néo-zélandaises en finale. La grosse différence avec l’Australie, c’est que le rugby à XV est le sport numéro un en Afrique du Sud et en Nouvelle-Zélande. Les All Blacks, c’est la référence dans leur pays, dans l’hémisphère Sud et même dans le monde. Là, ils sont prêts et ont envie de batailler en France…

À quel point faut-il les craindre ?

L’épidémie de Covid a privé l’hémisphère Sud de compétitions de haut niveau. Aujourd’hui, ils retrouvent justement le très haut niveau, ont été impressionnants en Argentine et contre l’Afrique du Sud. D’autant plus que les Springboks sont très denses. Mais, dans l’intensité et le combat physique, j’ai trouvé les All Blacks remarquables. Pour nous qui allons les affronter deux fois, ce seront des super matchs de préparation. Ce sera dur mais, quoi qu’il arrive, on gagnera du temps.

En Australie, la France est-elle perçue comme favorite du Mondial ?

Oui, avec l’Irlande, car ce sont les deux premières nations au classement World Rugby. Il y a beaucoup de respect pour ces deux équipes, et pour le Top 14 aussi. Tout le monde me dit que notre championnat est très dur. La France peut devenir championne du monde en octobre et les choses se sont équilibrées entre le Nord et le Sud. Nos moins de 20 ans ont été champions du monde, ça marque les gens. Et, ici, le regard sur la France a beaucoup changé. Avant, nous étions perçus comme des fainéants, un peu indisciplinés… Là, je sens désormais beaucoup d’admiration. Mais aussi l’envie de nous défier.

Suivez-vous l’actualité française ?

Avec le décalage horaire et le peu de temps dont on dispose, c’est dur. Même si j’essaye de me tenir au courant. Une fois en France, ce sera plus simple. J’ai vu que les clubs avaient repris. C’est particulier, vu d’ici, car en Australie, en Afrique du Sud ou en Nouvelle-Zélande, ils ne sont pas du tout en préparation. C’est tout pour l’équipe nationale.

Le fait que le Mondial soit en France donne un goût singulier à votre aventure…

Cela aurait été compliqué s’il avait été à l’étranger. Tu pars loin, avec le décalage horaire, même si ma famille est avec moi en ce moment pour une quinzaine de jours… Ma femme et mes deux fils sont arrivés samedi dernier, pour le match contre l’Argentine, et repartent après celui contre la Nouvelle-Zélande à Melbourne. Mes fistons ont pu assister cette semaine à l’entraînement des Pumas, à côté de notre hôtel. Et il y a du rugby tout le temps ici, à XIII ou à XV, donc ils sont contents. Sinon, l’opportunité était belle de vivre ensuite l’événement en France, même si nous sommes basés la plupart du temps à Saint-Etienne, qui n’est pas dans le Sud-Ouest (rire). Je ne vois pas comment je vais pouvoir retourner dans le Gers avant novembre ! Après, je me dis que la Coupe du monde 2027 étant en Australie, je ferai peut-être guide touristique.

Un mot sur le magnifique titre de champion du monde des Bleuets ?

Cette équipe m’a plu. J’en discutais souvent avec Tom Hooper et Carter Gordon, qui sont dans le squad wallaby et avaient tous deux leurs frères à la Coupe du monde moins de 20 ans. Cela prouve à quel point les clubs bossent fort en France, et je les félicite tous, amateurs ou professionnels. Quand j’en parle ici, cela étonne les Anglo-Saxons parce que je raconte combien les journées sont longues chez nous à l’école mais cela n’empêche pas les gosses d’aller jouer dans les clubs le soir.

On vous sent presque admiratif…

Oui, parce que le rugby français a vraiment une formation de qualité. Il faut le souligner. Nous avons de très bons éducateurs dans les clubs amateurs et désormais de très bons entraîneurs formateurs dans les clubs professionnels. Pour l’équipe de France, c’est du pain béni de recevoir des joueurs de haut niveau en sélection parce qu’ils ont bien travaillé dans leurs structures. Vous savez ce que j’ai répété aux Australiens ?

Dites-nous…

Sur les quinze titulaires en finale de la Coupe du monde U20, une dizaine de gamins avaient déjà joué en Top 14. Pour certains, très souvent. Et d’autres, comme Marko Gazzotti que j’ai vu parfois dominant en Pro D2 à 18 ans, vont exploser rapidement. L’invention des Jiff a changé le rugby français et l’ensemble de notre formation, avec l’obligation de les faire jouer, donc de former des jeunes et de les lancer de plus en plus tôt. La rencontre sous pression, c’est ce qui fait le plus progresser. Les gosses, qui jouent en Top 14 et en Pro D2, y sont habitués quand ils arrivent au Mondial moins de 20 ans. Cette compétition est même sûrement plus facile pour eux que les matchs de Top 14 ou de Pro D2. Tout le monde s’est mis au travail en France après l’échec de la Coupe du monde 2015. Elle nous a fait comprendre qu’il fallait vraiment bosser… Depuis, les résultats sont très bons et l’avenir est radieux.

En parlant d’avenir, on vous imagine mal rester longtemps dans votre canapé après la Coupe du monde. Savez-vous ce que vous ferez ?

Pas du tout. Pour l’instant, je n’ai rien. La saison est lancée en France et on verra après la Coupe du monde, quand je serai sur place.

Pourriez-vous continuer avec l’Australie ?

Non, ça fait trop loin. J’ai un poste aujourd’hui dans une sélection nationale mais c’est une préparation de Coupe du monde. C’est presque encore plus prenant que dans un club. Pour la suite, on verra plus tard.

Avez-vous pris goût au rugby international ?

Oui, c’est génial. Pour quelqu’un qui aime profondément ce sport comme moi, se retrouver là, ce n’est que du plaisir. C’est peut-être intense mais je n’échangerais pas ma place. Le rugby international, ça va vite et c’est très enrichissant.

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Les commentaires (3)
Mycupj Il y a 9 mois Le 20/07/2023 à 20:39

Bravo Henry pour ce que vous fîtes et ce que vous fûtes !
La famille Broncan est une famille de conviction dans le rugby comme dans la vie !

Quel exemple magnifique !

PoloUSC12 Il y a 9 mois Le 20/07/2023 à 19:33

Super article ! Super mec ! La famille Broncan une famille de rugby de formateur et de pédagogues ! J'espère qu'il retrouvera un poste bientôt ! N'oublions pas que c'est lui qui a repéré Thibaut Flament

CasimirLeYeti Il y a 9 mois Le 20/07/2023 à 17:51

Excellent article sur un gars passionné de Rugby, tout comme son père. Par contre, les mauls commandés par les 10, ça m'en bouche un coin. Il devrait y avoir quand même moyen de les faire commander par un 9, non, il me semble !