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Série - Histoires de la Coupe du monde : 1999, des coqs au bord de la crise de nerfs

Par Jérôme Prévot
  • Les Bleus ont atteint la finale malgré quelques tensions en 1999.
    Les Bleus ont atteint la finale malgré quelques tensions en 1999. Allstar / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Le Mondial 1999, le premier de l’ère professionnelle, le premier avec des téléphones portables, fut riche d’un exploit des Bleus en demi-finale face à la Nouvelle-Zélande ; riche aussi d’accrocs de toutes sortes et de moments de franche défiance, défiance entre le staff et certains joueurs et entre des joueurs entre eux.

Le début de l’année 1999 s’était très mal passé avec un Tournoi désolant (trois défaites) et une tournée dans l’hémisphère Sud en juin affreuse, défaite au Tonga et une raclée ramassée à Wellington face aux All Blacks, 54 à 7. Après le double Grand Chelem de 1997-1998, le message semblait brouillé entre le groupe et le duo Jean-Claude Skrela-Pierre Villepreux, référence du jeu dit moderne.

Mise au point sévère entre joueurs

Les Français pourtant pétris de talents individuels se comportaient de moins en moins en équipe. La rivalité Toulouse-Stade français était en train de voir le jour. Écoutons les confidences de Richard Dourthe de 2019 : « Nous nous regardions en chiens de faïence, on ne savait pas où on allait, ni avec qui. C’était bizarre. » … Au Golf de Seilh, juste avant le coup d’envoi de la compétition, le capitaine Raphaël Ibanez provoque une réunion pour que chacun s’exprime avant qu’il ne soit trop tard. Richard Dourthe lance un pavé dans la mare : « Il faut qu’on se comporte en équipe. Vous les Toulousains vous avez le casque ! Christian Califano et Franck Tournaire, vous êtes toujours en retard. Abdelatif Benazzi, tu es toujours tout seul ! » La catharsis fonctionne à plein, une voix rétorque immédiatement : « Ferme ta grande bouche Richard ! Toi tu traînes toujours avec Ugo Mola… »

Jean-Claude Skrela évoque un climat de désinvolture, voire de suffisance : « Certains joueurs n’étaient pas prêts à faire les efforts nécessaires. Je me souviens avoir piqué une grosse colère à Millau. Je leur ai dit en montrant un camion : vous pouvez partir.» Le 3 septembre, une caméra capte une scène dérangeante : Abdelatif Benazzi et Franck Tournaire échangent des coups à l’entraînement. Ils sont séparés par des partenaires et Jean-Claude Skrela pousse un autre coup de gueule.

Le rappel inéluctable de Galthié

Cette Coupe du monde organisée par les cinq nations donna lieu à la première longue préparation avec des stages en altitude à Millau, Val d’Isère et Font Romeu et ses séances de VTT, d’escalade et de descente en rappel. Le duo Villepreux-Skrela avait frappé un grand coup après la tournée loupée de l’été, ils avaient viré deux grands noms, Jean-Luc Sadourny et… Fabien Galthié. Ce dernier était fâché avec Jean-Claude Skrela qu’il avait pourtant côtoyé à Colomiers. Philippe Carbonneau et Pierre Mignoni sont les deux demis de mêlée, le Toulousain Carbonneau est alors au sommet de son art, les deux coachs croient en son talent instinctif. Et puis, premier coup de tonnerre, rupture des ligaments croisés pour « Carbo ». La pire tuile qui pouvait arriver à Skrela. Mais les deux coachs restent inflexibles. Pas de Galthié pour le remplacer, mais un OVNI, le Clermontois Stéphane Castaignède (0 sélection), révélation des phases finales.

Les commentaires et les critiques vont bon train. Mais la pièce de théâtre va vivre un nouveau rebondissement, énorme, juste avant le troisième match de poule contre les Fidji à Toulouse, Pierre Mignoni fait savoir qu’il souffre d’une élongation, dix jours d’arrêt. Branle-bas de combat, on ne peut se présenter avec un seul 9 valide. Voilà le staff au pied du mur, et cette fois bien obligé d’appeler Fabien Galthié qui, ironie du sort, réside à quelques minutes de l’Hôtel des Bleus. La décision se double d’une crispation majeure : le bruit court que la blessure est diplomatique, Jean-Claude Skrela le dément et l’a toujours démenti. Le rappel forcé de Galthié n’obéit à aucun constat de faiblesse, ni à aucune injonction venue d’en haut. En fait, il s’explique surtout par la classe de Mignoni, blessé certes, mais sans gravité extrême. D’autres auraient sans doute masqué leur douleur à sa place.

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Les joueurs, dont le capitaine Raphaël Ibanez, font passer le message : le rappel de Galthié est aussi souhaitable qu’inéluctable. Même si son caractère n’est pas toujours tendre, ses qualités de stratège et de compétiteur sont sans égales. Le drame Shakespearien est consommé, F.G. débarque après un coup de fil de cinq minutes. La décence impose qu’il ne soit que remplaçant face aux Fidji, Stéphane Castaignède ne brille pas particulièrement, la victoire est poussive (28-19, merci la mêlée) mais le nouveau venu impulse quelque chose en fin de partie. Mais dès le quart de finale contre l’Argentine, il est titularisé. Et la France signe un match magnifique, c’est Jean-Claude Skrela qui le dit. Mais au fait, pourquoi était-il à ce point fâché avec Fabien Galthié ? « Je ne peux pas le dire, je l’ai promis. Je ne veux pas en parler, parce que d’autres personnes sont impliquées… » s’est borné à nous répondre l’ex-sélectionneur. Histoire columérine ? Manque de respect au sein du XV de France ? On se perd en conjectures mais on est au moins sûr que dans cette histoire l’intérêt supérieur du rugby a été sauvegardé : « Mais la décision ne dépendait pas que de moi, c’était plus compliqué que ça, » ajoute Skrela très sibyllin. Tout le monde connaît le résultat : cette demi-finale hallucinante gagnée contre les All Blacks de Jonah Lomu à Twickenham.

Le plus incroyable, c’est que les Bleus avaient vécu deux autres coups du sort. D’abord le forfait du surdoué Thomas Castaignède, après le premier match de poule contre le Canada à Béziers. La vedette des Bleus est victime d’une douleur soudaine à une cuisse lors d’une séance d’entraînement. Le chouchou des médias capable de jouer à trois postes (arrière, centre, ouvreur) ne pouvait se douter que sa carrière en Coupe du monde s’arrêterait là, à 24 ans. Nouveau choc : contre les Fidji, la France perd une autre étoile, Christian Califano pour un coup de tête dans le dos d’un adversaire. Le pilier surdynamique de Toulouse quitte le groupe amer d’une telle sévérité, alors que Fabien Pelous, lui, a échappé à la foudre après un coup de chausson sur un adversaire, requalifié en « rucking ». Cali tiendra par la suite des propos très durs (en 2019)  : « C’était tendu dans le groupe, par moments très chaud. Et mon geste fut probablement l’expression d’un profond ras-le-bol. J’ai pris sept semaines pour un simple coup de pastèque sans danger. Avec le recul, je pense juste que les Britanniques ont voulu me sortir de la compétition, j’étais un élément fort du XV de France. Je suis repassé au Château Ricard faire mes valises et je suis parti m’isoler à l’étranger. Je voulais être loin de tout. »

Une préparation pour la finale gâchée

La charnière Carbonneau-Castaignède et le gaz de Califano en moins, ce n’était pas rien. « S’ils avaient été là, je ne dis pas que nous aurions été plus performants… Mais à certains moments, certaines décisions auraient été différentes », poursuit Skrela, en pensant forcément à la finale perdue face à l’Australie (35-12).
Sur le coup, le forfait de Thomas Castaignède présente un côté positif, il permet à Christophe Lamaison de s’installer à l’ouverture sans discussion possible, il sera le phénix du quart et surtout de la demie (Garbajosa s’installe à l’arrière). Après la victoire face aux Pumas, les Français sont électrisés, Richard Dourthe en chef ambianceur invente un haka parodique, pour conjurer tout complexe d’infériorité. La vidéo circule, et vexera les Néo-Zélandais. Les Français se trouvent un hymne : « Tomber la chemise » du groupe Zebda.

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La demie se passe avec cette deuxième mi-temps phénoménale et un Dourthe intraitable en défense face à Umaga, sans compter Dominici, stratosphérique. Skrela et Villepreux ont la fierté d’en avoir décidé les contours à la vidéo : « Ils ne mettent personne en second rideau. On les avait prévenus qu’il fallait jouer au pied par-dessus. Et à la pause, on a averti les joueurs que les All Blacks étaient en train de baisser de pied physiquement, on a martelé ce message. » 

Totalement transfigurés, les Bleus arrivent en finale pour retrouver les implacables Australiens de Rod Mcqueen : « Ils n’étaient pas plus forts que nous. Cette défaite, c’est de notre faute. » Jean-Claude Skrela avait su surmonter les tensions internes mais ne résista pas au tourbillon de l’exploit de la demie : « On n’a pas su faire suivre l’intendance jusqu’au bout. On s’est retrouvé sur le périphérique de Cardiff, dans le même hôtel que la presse. Il a fallu changer trois fois de salle de vie. J’ai même carrément voulu rentrer à Paris. On a regardé d’autres hôtels, au pays de Galles ou à Bristol mais Bernard Lapasset n’a pas voulu. Mais on était entourés de journalistes euphoriques qui nous disaient : « Bravo, en France, on ne parle que de ça », c’était génial. La différence avec la préparation de la demie était criante. Nous étions à l’écart de tout, dans un hôtel à 30 ou 40 kilomètres de Londres. Et puis, il y eut l’épisode des femmes des joueurs, elles n’avaient pas de place. Il a fallu s’en occuper. Et tout ça a fait que les trois premiers jours ont été gâchés. Les erreurs commises le jour de la finale viennent de là : les pénalités non tentées, un ballon non contesté au sol face à un adversaire esseulé. J’ai revu le match, les Australiens ne nous ont pas surclassés. »

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