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Gallion : «Je ne boxais pas dans la même catégorie que Fouroux» (1/2)

  • Partenaires en équipe de France, Jean-Michel Aguirre (à gauche), le Bagnérais et Jérôme Gallion (à droite), le Toulonnais étaient adversaires en club malgré la profonde amitié qui s’était créée entre eux. Photos archives Midi Olympique
    Partenaires en équipe de France, Jean-Michel Aguirre (à gauche), le Bagnérais et Jérôme Gallion (à droite), le Toulonnais étaient adversaires en club malgré la profonde amitié qui s’était créée entre eux. Photos archives Midi Olympique
  • "Je ne boxais pas  dans la même catégorie que Fouroux"
    "Je ne boxais pas dans la même catégorie que Fouroux"
Publié le Mis à jour
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Ancien demi de mêlée de toulon que ce soit avec le RCT ou en équipe de France, il fut l’un des très grands joueurs français des années 1980. Celui qui a pris la succession de Fouroux chez les Bleus, avant de perdre sa place au profit de Berbizier, revient sur une carrière ultra-riche mais aussi sur ses trois années de présidence à Toulon au début des années 2000.

Comment s’est passée la période de confinement ?

Ça m’est tombé dessus d’un coup. J’avoue que je ne pensais pas que la France et même le monde puissent vivre un tel moment ; toute la vie s’est arrêtée ! Pour tout vous dire, mi-mars, j’étais dans une petite bourgade en train de faire une semaine de ski de fond, je m’apprêtais à reprendre mon activité de chirurgien-dentiste et on nous a dit : "Stop, restez chez vous !" Moi qui vadrouille à droite et à gauche tout le temps, je me suis retrouvé pendant deux mois enfermé à la maison, c’était une grande première. Et finalement, j’ai trouvé cette période de confinement extraordinaire ! J’ai savouré. Je me levais très tôt le matin, le jour se levait à peine. J’en ai profité pour redécouvrir ma ville, Toulon. Une ville sans bruit, sans pollution, juste les odeurs de fleurs. C’était merveilleux. Je dois bien vous l’avouer, je traficotais un peu mon attestation de sortie, pour gagner quelques minutes qui m’apparaissaient précieuses et je partais ainsi, très tôt, marcher pendant un peu plus d’une heure au Cap Brun ou au Mourillon... Ces moments étaient privilégiés.

Et le reste de la journée ?

Comme tout le monde, j’ai rangé de fond en comble ma maison, puis mon garage. J’ai entretenu comme jamais mon jardin et d’ailleurs je commence à saturer du jardinage. Le reste du temps, j’ai pas mal lu aussi. J’ai pris le temps. On pouvait prendre le temps et c’était un confort incroyable !

Avez-vous aussi pu profiter de votre famille ?

Non, car j’ai trois grands enfants : deux vivent sur Aix-en-Provence et le troisième à Marseille. On a pu discuter par visio, c’est tout.

Quel regard portez-vous sur le rugby actuel ?

Il m’intéresse tout autant qu’à mon époque. Je ne vais pas vous sortir un discours d’ancien combattant, avec un "c’était mieux avant". Je suis très content d’avoir joué à ma période, avec des joueurs de très haut niveau. Pensez donc, en équipe de France j’ai évolué avec Lescarboura, Codorniou, Sella, Lagisquet, Blanco... C’était un régal ! J’ai eu beaucoup de chance de participer à l’aventure de cette équipe, mais l’évolution du rugby m’a plu aussi. Grâce au professionnalisme, j’ai pu voir à Mayol des joueurs d’une classe incroyable ! George Gregan, Jonny Wilkinson, Drew Mitchell, Matt Giteau ou encore George Smith... Lui, c’est peut-être le joueur le plus merveilleux que j’ai pu voir sur un terrain de rugby. J’étais un spectateur privilégié. Nous avons été gâtés au RCT pendant près de dix ans.

Commençons par votre carrière de joueur. Vous citez la ligne de trois-quarts des années 80 des Bleus, une période bénie…

Durant toute ma carrière avec les Bleus, j’ai eu beaucoup de chance. Pour mes débuts, je pars en tournée en 1977 en Argentine avec l’équipe de France qui vient de faire le grand chelem. Trois jours avant de partir, je décroche mon diplôme de chirurgien-dentiste... Je ne connaissais personne chez les Bleus, et je découvre les Paparemborde, Imbernon, Palmié, Paco, Rives, Bastiat, Skrela, des joueurs monstrueux de classe mondiale. Clairement je n’étais pas à leur niveau mais je me suis dit que cela n’était pas grave, qu’il fallait que je m’applique pour l’élever. J’étais la doublure d’un monument du rugby français durant cette tournée : Jacques Fouroux ! Je lui avais d’ailleurs avoué au début du voyage : "Je ne boxe pas dans la même catégorie que toi ! Je suis là pour apprendre, je ne suis pas un concurrent..." Cela l’avait sécurisé. C’était une tournée récompense pour les "chelemards" et pour moi, elle était initiatique. J’en ai profité et cela s’était bien passé.

Pour votre premier Tournoi, vous aviez joué pour le grand chelem…

Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. Il s’était d’abord passé un truc incroyable. Jacques Fouroux, en conflit avec le sélectionneur de l’époque Élie Pebeyre, avait décidé de raccrocher les crampons alors qu’il revêtait une importance énorme au sein du groupe. C’était le patron et, en haut lieu, cela gênait forcément ; c’est lui qui menait les choses et il le faisait formidablement bien. J’avais pu l’observer en Argentine, et c’était lui qui dirigeait le groupe de A à Z. Bon, il arrêtait et je me retrouvais alors bombardé titulaire pour le Tournoi 1978. Et là, j’ai été totalement perdu ! Je devais diriger des joueurs qui avaient dix classes de talent en plus que moi ! C’était un truc de dingue. Je ne gérais rien du tout et je me suis laissé porter, bien aidé par Bernard Viviès qui évoluait à l’ouverture. Pour le dernier match de Gareth Edwards, à Cardiff, je me suis retrouvé au milieu de joueurs extraordinaires, lors d’une finale pour le grand chelem. J’avais essayé d’exister dans ce match historique. Le challenge était hyperdifficile à relever. Avec Bernard Viviès, nous avions fait notre apprentissage à la vitesse grand V comme on dit.

Il a été dit que vous aviez décliné la sélection en 1987 pour la première Coupe du monde ?

C’est vrai. Plusieurs choses pour expliquer cette décision : j’ai 32 ans à l’époque et j’ai ouvert un cabinet dentaire. En 1987, l’équipe de France fait le grand chelem, je suis remplaçant mais je n’entre pour aucune des rencontres. À l’issue du Tournoi, mon épouse a un petit souci de santé, nous avons déjà nos trois enfants, ma dernière est âgée de 8 mois. Je ne me voyais pas tout laisser, partir pour une préparation et ensuite vivre à l’autre bout du monde pendant plus d’un mois. En tant que compétiteur, on est quelque part égoïste. Mais faut aussi se rappeler qu’avec Toulon on était devenus champions de France. Alors, un matin au réveil, j’avais décidé de rester en France et de ne pas vivre la première Coupe du monde.

Vous aviez appelé le sélectionneur Jacques Fouroux pour lui annoncer votre décision ?

Non. J’ai appelé à la FFR, mais pas Jacques. Nos relations étaient quelque peu tendues. Il n’avait jamais trop accepté que je le remplace en équipe de France en 1978. Au fond de lui, il pensait pouvoir revenir. Du coup, nos rapports ne se sont jamais tout à fait normalisés. J’étais pourtant admiratif de l’individu, du joueur qu’il avait été. J’aurais aimé que cela soit plus chaleureux entre nous, mais bon… C’était un gars hors du commun. Dans tous les sens du terme.

Sportivement, Fouroux vous préférait Pierre Berbizier. Est-ce une raison qui a pesé dans votre prise de décision ?

Absolument pas. Notre concurrence avec Pierre était saine, comme nos rapports d’ailleurs. La compétition était sur le terrain et Jacques décidait. Pierre Berbizier était plus stratège et avait un profil plus en adéquation avec ce que demandait Jacques. D’ailleurs, Pierre a eu une part prépondérante dans le grand chelem de 1987. Pourtant, il était très critiqué et j’ai parfois dû venir à son secours. Je n’ai pas compris les remarques qui s’abattaient sur lui. Nous n’avions pas les mêmes qualités mais c’était un très grand joueur.

Comment avez-vous vécu le parcours du XV de France, en 1987, lors de cette première Coupe du monde ? Voir les Bleus en finale, sans vous...

J’avais un petit pincement au cœur, car j’ai vécu cette Coupe du monde et la finale par procuration. J’étais avec eux, je me projetais sur les entraînements, sur leurs matchs... Ce qu’ils ont fait c’est très, très fort.

Au moment des matchs, aviez-vous des regrets de ne pas y être ?

Bien sûr. Je percevais depuis mon écran de TV que cela devait être une compétition merveilleuse à vivre.

On vous sent sur la réserve…

Ma relation avec Jacques Fouroux n’aura pas été celle qu’elle aurait dû être ou que j’aurais aimée. C’est comme cela. Mais je le répète, aujourd’hui encore j’ai un profond respect pour le personnage qu’il était. Dommage que nous ne soyons pas parvenus à être des amis.

En club, avec le RCT, vous vivez trois finales de championnat de France 1985, 1987, 1989. La fin de votre carrière n’a-t-elle pas été la meilleure ?

Par la qualité du jeu mis en place, je crois que nous avons mérité ce que nous avons vécu. N’oubliez pas qu’en 1986 et en 1988, on est éliminés en demi-finale ! Nous avons fait preuve d’une belle régularité au plus haut niveau de compétition. 1987 sera la récompense... Toulon, c’était du solide. Et on n’était pas seulement une équipe du printemps. Mais tout au long de la saison.

Avec un style axé sur le combat...

Ce serait très réducteur de dire que nous n’avions qu’un paquet d’avants de combattants ! Chez les trois-quarts il y avait Jérôme Bianchi, international, mais aussi Alain Carbonel, international B. Tout comme Fourniols et Trémouille ! Nous avions une super équipe, qui savait jouer au rugby. Lors des phases finales, on jouait peut-être de manière plus fermée avec l’objectif de passer le tour. Mais bon nous avions de vraies qualités et en troisième ligne Champ, Melville et Louvet quand ce n’était pas Orso. Tous de sacrés joueurs de rugby. Ils savaient tout faire et pas seulement combattre.

Quel entraîneur était Daniel Herrero ?

Il avait des idées nouvelles d’entraînement qu’il a appliqué à un groupe qui avait une véritable maturité à son arrivée en 1983. Sa façon d’entraîner était novatrice, très ludique. Il nous faisait travailler par petits groupes sur des ateliers précis. Toujours avec le ballon. Il voulait constamment améliorer la vision du jeu de ses joueurs. Parfois, on travaillait avec plusieurs ballons en même temps afin d’améliorer notre acuité visuelle. Avants et trois-quarts mélangés. Après, il savait aussi nous transcender, même s’il ne voulait pas d’agressivité débordante et individuelle.

Vous n’avez pas évoqué de vous-même, ce fameux 14 juillet 1979 et la victoire à Auckland face aux All Blacks ?

La tournée est difficile, jusqu’à celui-là qui était le dernier, nous jouons des matchs heurtés, sous la pluie, on perd, le groupe cohabite plus qu’il ne vit ensemble. Arrive ce match, disputé sous le soleil, et il se passe quelque chose dès le départ. On marque quatre essais, on joue bien. Une équipe a éclos à ce moment-là. Elle était en gestation jusqu’à cette rencontre. Cela faisait 40 jours que nous étions en tournée à s’entraîner une heure et demie par jour. Nous étions en pleine possession de nos moyens physiques, et on a pu l’exprimer. Avec le beau temps, le ballon virevolte, Caussade fait un match fantastique à l’ouverture. Avec derrière Codorniou, Costes ou Aguirre. Chacun a joué sa meilleure partition. Nous avons terminé le match et au vestiaire avec Philippe Dintrans, on se disait : le rugby c’est facile en fait. On doit pouvoir jouer comme cela tous les dimanches ! Bon c’est entièrement faux…

Vous avez évolué en équipe de France aux côtés des trois légendes de notre sport, Jean-Pierre Rives, Serge Blanco et Philippe Sella. Lequel vous a le plus impressionné ?

Trois monstres ! Je commence par Serge et sa façon chaloupée, élégante, de s’intercaler dans la ligne de trois-quarts. Le ballon devait lui arriver au bon moment, pas trop tôt mais également pas trop tard pour qu’il ait le temps de naviguer avant d’entrer dans la défense. Il était redoutable. En fait, j’ai surtout apprécié Philippe Sella. Lui, c’est LE joueur. Sella, c’est un rêve pour un entraîneur. Il n’a jamais d’état d’âme. Il arrivait aux entraînements, prêt physiquement, techniquement et tactiquement. Il savait tout faire. Quand il était moins bien sur un match, tu lui mettais quand même 16/20. Jamais en dessous. S’il n’y avait que des Sella dans une équipe, elle serait imbattable. Quand tu joues avec lui, tu te dis "allez minot, tu te bouges pour essayer d’être à son niveau, de passer de 12 à 14/20". Il tirait les autres vers le haut. Par son comportement, il te faisait progresser. Si jamais tu fais une faute, tu te mords les avant-bras !

Et Jean-Pierre Rives ?

Il se révèle en tant que capitaine. On est à la fin de l’année de 1978, et Jean-Pierre Bastiat, alors capitaine, va raccrocher les crampons. Nous avons un match à jouer en Roumanie. Elie Pébeyre alors sélectionneur fait le tour des joueurs pour les sonder sur le prochain. "Toi tu verrais qui ?" Je cite Jean-Claude Skrela en premier dans un groupe où il y avait de nombreux capitaines en puissance. Il me rétorque que ce sera Rives. Il était singulier dans sa démarche et dans la vie de groupe. Mais, devenu capitaine, il a beaucoup apporté. Il s’est investi dans le rôle. Il a été un capitaine exemplaire. Je n’ai pas vu beaucoup de bonshommes comme lui.

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