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Yachvili : « L’institution suprême, c’est l’équipe de France »

  • Dimitri Yachvili
    Dimitri Yachvili Midi Olympique - Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
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Dimitri Yachvili (40 ans), c’est 61 sélections et 373 points marqués en équipe nationale, deux grands chelems et une finale de coupe du Monde. Pour nous, l’ancien demi de mêlée international revient sur la résurrection du XV de France, le renouveau de Gaël Fickou, l’hyperactivité de Bernard Le Roux et la métamorphose de Paul Willemse. Le double champion de France avec le Biarritz olympique dans les années 2000, évoque enfin, avec des mots forts, l’absurde guerre à laquelle se sont dernièrement livrés les clubs et la fédération. C’est à vous, « Yach »… 

Qu’avez-vous pensé de la dernière victoire des Bleus, face au pays de Galles ?

L’impression générale est largement positive : on a vu de très beaux essais et les joueurs semblaient heureux de se retrouver, même dans cette ambiance étrange, pour ne pas dire irréelle.

Ce renouveau qui semble s’amorcer fait du bien, après dix ans de galère…

Oui. Le XV de France était entré dans une routine de défaites dont il était quasiment devenu impossible de se défaire. On parlait à l’époque de « défaites encourageantes », mais ce concept ne veut rien dire, au plus haut niveau. C’est du vent. […] On a senti, depuis la dernière Coupe du monde au Japon, que l’état d’esprit avait changé, que les mecs entraient sur le terrain pour gagner les matchs et non plus pour ne pas les perdre.

En clair ?

On a retrouvé les gênes du rugby français : l’agressivité, le flair, l’élan offensif. Dans les tronches, on se lâche un peu plus et, franchement, ça fait du bien.

Vous êtes un ancien demi de mêlée international, un poste où le rugby français a souvent manqué de stabilité. Depuis deux saisons, nul n’a pourtant remis en question le statut de titulaire d’Antoine Dupont…

C’est vrai. Et c’est rare… Antoine Dupont a des qualités physiques exceptionnelles. Il est opportuniste, marque des essais et s’est installé comme un leader de l’équipe. Le staff lui a accordé sa confiance. S’il joue, c’est qu’il est le meilleur. Il n’y a rien à redire là-dessus.

Vous êtes relativement proche de Baptiste Serin, à qui vous avez prodigué des conseils au début de sa carrière professionnelle. Est-il aujourd’hui très loin de Dupont ?

Baptiste a de grosses qualités et n’a pas eu assez de temps de jeu pour qu’on sache vraiment s’il est loin d’Antoine Dupont ou pas. Je trouve néanmoins qu’il apporte beaucoup à l’équipe de France quand il entre en fin de match, notamment dans l’animation du jeu. Mais la hiérarchie est claire, aujourd’hui.

Au milieu du terrain, Gaël Fickou, titularisé à son véritable poste mais exceptionnellement repositionné à l’aile face à l’Irlande à cause du forfait de Teddy Thomas, a été très fort contre les Gallois. Que pensez-vous de lui ?

On sent qu’il préfère jouer au centre, il y est beaucoup plus épanoui. De plus, jouer aux côtés de Vakatawa facilite les choses. […] Fickou, il peut casser des plaquages mais aussi jouer dans le dos de la défense, comme il l’a fait face aux Gallois sur le deuxième essai d’Antoine Dupont, en ouvrant au préalable une brèche à Vakatawa, d’un très beau crochet intérieur. Au milieu du terrain, ces deux-là sont parfaitement complémentaires et, au fil des matchs, Fickou devient un élément majeur de cette équipe de France.

Vous parliez de Virimi Vakatawa : celui-ci marche sur l’eau depuis plusieurs mois. En quoi est-il spécial ?

Vakatawa, il régale. Je l’ai beaucoup suivi en Coupe d’Europe sous le maillot du Racing et à chaque fois, c’est lui qui fait la différence. Sur le terrain, son timing est toujours le bon et ses années passées au rugby à 7 lui ont permis d’apprendre à lever la tête, à regarder ce qu’il se passe autour de lui. Il sait affronter les défenseurs mais préfère jouer les espaces. Le facteur X, c’est lui.

Cette ligne de trois-quarts tricolore est pétrie de talents et Teddy Thomas, forfait ce week-end, fait bel et bien partie de ceux-là. Vous qui l’avez côtoyé au Biarritz olympique, quel avis portez-vous sur lui ?

Il est un redoutable finisseur (douze essais en vingt sélections), marque des essais de fou. Mais il a encore quelques lacunes, notamment sous les chandelles ou en défense, un secteur qu’il a encore besoin de travailler. C’est plus dans la tête qu’autre chose, à mon avis.

De l’extérieur, on a l’impression que personne ne s’est vraiment imposé au poste d’arrière en équipe nationale. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?

Non. Je trouve au contraire qu’Anthony Bouthier a la carrure d’un titulaire. […] Il n’y a pas si longtemps, il évoluait en Pro D2 et, à ce titre, son ascension est assez incroyable. […] Parfois, on manque de maturité après cinq ou six saisons passées en Top 14. Lui, il débarque de Pro D2 et semble déjà prêt pour le niveau international. Je trouve ça ahurissant, personnellement…

La dernière fois que vous nous avez accordé une interview, vous émettiez des doutes concernant Paul Willemse, le deuxième ligne du MHR et des Bleus. Les a-t-il levés ?

Il y a deux ans, Paul Willemse était dans un état physique qui pour moi n’était pas compatible avec le haut niveau. Depuis, il a perdu du poids, est devenu mobile et s’est imposé dans ce rôle de ferrailleur, de poutre du paquet d’avants français. C’est une bonne chose parce que le rugby moderne demande beaucoup de mobilité aux avants. On le voit d’ailleurs avec Bernard Le Roux, qui est partout.

Le Roux a bien failli rater la rencontre face à l’Irlande après avoir été cité pour un coup de coude, après le match contre les Gallois…

Cela aurait été une lourde perte… Bernard Le Roux est très important dans le dispositif de Fabien (Galthié) et son staff. Il montre l’exemple, il est partout et samedi soir, je l’ai d’ailleurs fait remarquer à l’antenne (sur France Télévisions) : il était toujours le premier sous les renvois, le premier à chasser l’adversaire sous les coups de pied longs… Son activité est hallucinante.

Où situez-vous la marge de progression de cette équipe de France ?

On voit tous ce qu’est capable de réaliser cette équipe dans le désordre : l’insouciance des joueurs, leurs qualités techniques, leurs connexions leur permettent de faire de très belles choses sur les ballons de récupération. En revanche, dans la gestion des sorties de camp ou la patience dans l’enchaînement des temps de jeu, il y a des progrès à faire. […] Quoi de plus normal. Cette équipe est très jeune et ne s’était pas retrouvée depuis sept mois, avant ce match contre le pays de Galles.

Des tribunes, comment avez-vous vécu ce match à huis clos ?

C’était étrange… C’était comme si les Bleus avaient joué sur terrain neutre, en fait… À des moments, on a bien senti que l’absence de bruit et de soutien était préjudiciable. L’entame de match en est d’ailleurs le parfait exemple : habituellement, c’est là où tu es porté par l’énergie du stade.

L’énergie d’un stade plein est-elle vraiment quantifiable ?

C’est inestimable, je vous jure. Dans les moments chauds, sur une mêlée à cinq mètres proche de la ligne ou un enchaînement de temps de jeu, tu es porté par l’énergie du stade. Elle est à la source de l’influx nerveux.

Le XV de France affronte l’Irlande ce week-end, dans le but d’accrocher la victoire dans le Tournoi des 6 Nations. Quel est le profil de cette équipe celte ?

Elle n’a pas beaucoup évolué depuis le Mondial japonais. Le schéma de jeu reste le même : occupation, conquête, défi physique. Mais attention, les Irlandais m’ont l’air un peu émoussés physiquement. Je m’étais déjà fait la réflexion en Coupe d’Europe, lors des quarts de finale de l’Ulster (à Toulouse) et même du Leinster (contre les Saracens).

Dès lors ?

Restons méfiants, néanmoins : les Irlandais ont coché ce déplacement à Paris, ont un point d’avance au classement et ont toujours leur destin entre leurs mains, en vue de la victoire finale. Même s’ils ne sont pas au mieux de leur condition physique, ils restent de redoutables adversaires.

Johnny Sexton, le demi d’ouverture de l’Irlande et du Leinster, vient d’être élu « meilleur joueur de la décennie » par les internautes. Êtes-vous d’accord ?

Personnellement, je n’aurais pas voté pour lui. Mais si 90 % des votants étaient des « Dubliners », le résultat n’a rien de surprenant… (rires) Malgré tout, respect pour la carrière de Sexton. Il reste un très grand joueur international.

Aux côtés de Johnny Sexton, on retrouvera naturellement Conor Murray, le demi de mêlée du Munster. On dit parfois de lui que son jeu est « ennuyeux ». Partagez-vous cet avis ?

Il correspond au style de jeu prôné par les Irlandais depuis quelques années : En fait, Conor Murray est un pragmatique, un mec qui excelle dans le jeu au pied d’occupation. Néanmoins, lui aussi me semble un peu moins fringant depuis quelques saisons.

À ce point ?

Murray et Sexton ont joué leur soixantième match ensemble, le week-end dernier (face à l’Italie). Au fil des ans, cette démarche « gestionnaire » leur a plutôt bien réussi et de toute évidence, Andy Farrell (le sélectionneur irlandais qui a succédé à Joe Schmidt) veut maintenir cette charnière parce que son expérience est importante à ses yeux. Mais elle ne fait pas beaucoup évoluer le jeu de l’équipe, je trouve…

Vous étiez aussi parfois « gestionnaire », à l’époque où vous meniez le jeu du Biarritz olympique et de l’équipe de France…

(Il coupe) J’étais gestionnaire quand j’étais dans le dur, physiquement. Mais je savais aussi me lâcher.

Récemment, Jefferson Poirot et Sébastien Vahhamahina, âgés de 27 et 28 ans, ont annoncé la fin de leur carrière internationale. Comprenez-vous cette décision ?

Je la respecte, en tout cas. Mais bon… Je ne comprends pas qu’on puisse annoncer la fin de sa carrière internationale… Tant que tu es sur un terrain, tant que tu joues en club, tu as forcément envie de jouer avec le maillot bleu parce que c’est une chance unique de pouvoir défendre ton pays, à 20 comme à 35 ans. On verra, dans l’avenir, si Jefferson Poirot et Sébastien Vahaamahina regrettent ou pas ce choix-là… Je n’espère pas.

Nous non plus…

Ceci dit, leur retraite permet à d’autres joueurs d’émerger. Au poste de pilier gauche, Cyril Baille a pris une belle ampleur dans cette équipe de France ; c’est également le cas de la paire Le Roux-Willemse en deuxième ligne.

Que pensez-vous de Fabien Galthié ?

Il ne m’a jamais entraîné mais j’ai parlé avec beaucoup de joueurs l’ayant côtoyé : tous évoquent une maîtrise technique hors-norme. Galthié, c’est un homme qui aime ce sport, un coach en recherche constante, un mec qui déteste perdre. Il a tous les critères d’un grand sélectionneur.

Certains de ses joueurs ont parfois eu du mal avec ses méthodes de management. Est-il usant, au quotidien ?

(Il soupire) Vous savez, tous les grands entraîneurs sont usants : ce sont des compétiteurs, ils ne lâchent rien et sont toujours sur ton dos.

Après la victoire face aux Gallois, Galthié a dédié le match à tous les rugbymen amateurs étant privés de compétition, en ce moment. Comment jugez-vous cette situation ?

On vient tous du monde amateur et je suis très touché par leurs galères actuelles. Mais le jour où le sport va s’arrêter, on va se rendre compte de son importance dans la société : le rugby, ce sont les retrouvailles du week-end, le jeu, le plaisir, le lien social… À mes yeux, le sport est tout aussi important que la culture, l’éducation ou la santé.

Pensez-vous qu’un sport de contacts comme le rugby puisse continuer longtemps, dans le contexte de crise sanitaire ?

Je n’aurais jamais imaginé qu’on me pose un jour cette question… Force est de constater qu’elle est aujourd’hui légitime… Moi, je n’imagine pas l’avenir sans sport de haut niveau. Peut-être suis-je trop optimiste…

Avant que ne débute la fenêtre automnale, la guerre entre Ligue et Fédération a été longue, éprouvante. Qu’en avez-vous pensé de l’extérieur ?

Dans des temps troublés comme ceux que l’on vit aujourd’hui, j’ai trouvé triste qu’une ligue et une fédé se tirent dessus. Et pourquoi, au juste ? Pour un seul et unique match international (la FFR voulait en disputer six, la Ligue ne souhaitait pas aller au-delà de cinq)… […] Je comprends les clubs, la problématique des doublons, tout ça… Mais l’institution suprême, c’est la fédération et en filigrane, l’équipe de France. Je ne comprends donc pas qu’on puisse négocier des matchs avec une institution suprême. Mais bon…

Quoi ?

C’est presque à se demander si ce n’était pas une guerre d’ego plutôt qu’une lutte véritable pour le bien du rugby français. […] Moi, en tout cas, je prône la paix. (rires)

On retient vos arguments : malgré tout, le match de préparation face au pays de Galles était-il à ce point important ?

Bien sûr : ça reste un test-match, ça compte pour une sélection et une semaine avant de disputer une rencontre capitale et qui pourrait permettre à l’équipe de France de remporter son premier Tournoi des 6 Nations depuis dix ans, il me semblait essentiel que les Tricolores se retrouvent. Pour moi, ça coulait quand même de source…

Pourquoi ?

Un début de match raté comme celui face au pays de Galles n’aurait pas pardonné ce week-end, contre l’Irlande… Pour moi, cette première rencontre de préparation était donc non-négociable.

Les Tricolores n’auront le droit d’apparaître que sur trois feuilles de match du XV de France, alors que la tournée d’automne en compte six. Ces joueurs ne vont-ils pas revenir en club à reculons ?

À reculons, non… Ils sont quand même sous contrat avec leur club… (il marque une pause, reprend) Cette guerre fut d’autant plus étrange que sans la Covid, il y aurait eu six matchs internationaux, qu’on le veuille ou non : trois en juin et trois en novembre. C’est absurde…

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Les commentaires (1)
jmbegue Il y a 3 années Le 30/10/2020 à 22:32

A propos des questions sur l'embrouille FFR-LNR : Je trouve très réducteur et simpliste de ramener ça à un problème d'égo. L'unanimité des clubs professionnels contre les diktats de la FFR montre bien que cela n'a rien à voir avec la personne de Goze.
Je trouve aussi très simpliste l'argument de 3 matches en juin et 3 à l'automne c'est toujours 6 matches. Sauf que BL voulait faire jouer les 6 matches en plein championnat sans tenir compte de la situation difficile des clubs et sans se préoccuper de leur survie.

Les joueurs de l'EDF sont payés par les clubs. Ces clubs ont de très grosses difficultés dues à la situation sanitaires. Si les clubs qui permettent à l'EDF d'avoir un si bel effectif, venaient à disparaître, que deviendront les joueurs? Où iront-ils? Comment BL qui est élu grâce aux clubs amateurs pourra-t-il aligner une équipe?
La FFR est dans une situation financière très inconfortable et tente de se sauver avec ces 6 matches pour faire rentrer des sous dans ses caisses.
La direction actuelle de la FFR est pour une bonne part responsable de la faiblesse passée de l'EDF. D'une part c'est le duo Simon-Laporte qui, en 2016, a réglé des problèmes personnels (qui sont bien là des purs problèmes d'égo) en sabotant le travail du sélectionneur d'alors. Et d'autre part c'est Laporte en tant qu’entraîneur du RCT qui amena au plus haut point le recrutement de joueurs étrangers. Ledit recrutement entraînant une inflation généralisée de recrutement dans les autres clubs de l'élite afin de pouvoir résister et affaiblissant du coup le niveau général des joueurs français.