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Le mythe du Lion de Swansea

  • Le mythe du Lion de Swansea.
    Le mythe du Lion de Swansea.
  • Robert Soro en pleine charge. Il était très lourd pour l’époque, mais il était capable de courir ballon en main . Cette partie entre le pays de Galles et la France fut disputée par un froid terrible  de la paille sur le terrain. La rencontre fut hachée, parfois violente, mais les Français étaient les meilleurs. Jamais, ils n’avaient gagné au pays de Galles. On découvre aussi que les Gallois jouaient avec des lettes dans le dos Photo DR
    Robert Soro en pleine charge. Il était très lourd pour l’époque, mais il était capable de courir ballon en main . Cette partie entre le pays de Galles et la France fut disputée par un froid terrible de la paille sur le terrain. La rencontre fut hachée, parfois violente, mais les Français étaient les meilleurs. Jamais, ils n’avaient gagné au pays de Galles. On découvre aussi que les Gallois jouaient avec des lettes dans le dos Photo DR
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En 1948, pour la première fois de l’histoire, la France s’imposa au pays de Galles, 11 à 3. De cette rencontre dantesque, on a retenu la performance d’un homme, Robert Soro, surnommé illico et pour l’éternité "Le lion de Swansea". Récit.

Il est de ces matchs dont on ressent les vibrations par-delà les décennies qui nous en séparent. Le Galles-France de 1948 programmé à Swansea a propagé son souffle glacé à travers les générations. Il a marqué une borne historique, jamais dans l’histoire une équipe tricolore n’était venue s’imposer sur un terrain de la Principauté. Et pourtant, en ce 21 février 1948, le tableau manuel du stade de Saint-Helens affichait bien 11-3 en faveur des Bleus commandés par Guy Basquet, numéro 8 du SU Agen. En 1910, lors du premier tournoi joué par les Français, les Gallois, à Swansea déjà, s’étaient imposés 49-14 avec dix essais. Et l’arrière gallois, lui aussi de Swansea, Jack Bancroft n’avait pu s’empêcher d’en rajouter lors du banquet d’après match. "Vous les Français, vous êtes des braves garçons. Vous arriverez peut-être à battre les Anglais chez eux ou les Irlandais et les Écossais., mais vous ne triompherez ici, au pays de Galles, que le jour où il n’y aura plus de charbon sous nos pieds." La prophétie était cruelle et carrément méprisante, elle s’avéra fausse. 38 ans après, elle était contredite, Jack Bancroft n’était plus là pour l’assumer, il était mort depuis six ans.

Ce match du 23 février 1948, on en tremble encore car il se disputa par un froid polaire. Jusqu’au dernier moment, la rumeur d’un report circula, l’arbitre anglais M. Bean hésita longuement car il craignait pour la sécurité des joueurs, obligés de s’ébrouer sur un terrain gelé. La Fédération galloise avait même fait disposer de la paille pour adoucir la pelouse. A la une du programme officiel, une publicité disait : "In cold days, kick offf with Bovril !" (Par temps froid, donnez le coup d’envoi avec Bovril !). Une marque de gants Bovril ? De maillots ? Non, une sorte de mixure de bœuf salé, vendu en bocal."

On en tremble encore car les photos retracent un match joué au mépris de toute règle de sécurité, la foule était venue si nombreuse qu’elle avait débordé des tribunes. Les clichés témoignent d’une marée humaine miraculeusement stoppée, à quelques mètres des joueurs, sans obstacle sinon une poignée d’agents de police désarmés pour faire respecter les règles de la bonne éducation.

Une autre rumeur avait circulé : certains billets étaient faux, on craint des mouvements de foule incontrôlés, mais non ; ce n’était qu’une psychose. Ce Galles-France se déroulerait bien devant les 40 000 spectateurs frigorifiés, possesseurs d’un sésame, simple rectangle de papier sans aucun filigrane. On se demande encore combien de ces Gallois serrés comme des sardines ont vraiment vu ce match. Mais cette population marquée par les privations de la guerre et l’arrêt du Tournoi avait besoin de sensations et ne voyait presque pas d’images.

Une pelouse gelée, une foule débordante

La rencontre est restée dans l’histoire pour la performance, mais aussi à travers un homme, Robert Soro, deuxième ligne de Romans, si dévastateur qu’on le surnomma illico "Le lion de Swansea". Le sobriquet lui resta jusqu’à sa mort, en 2013 à 91 ans. Des années après, il raconterait : "Oui, on ne savait pas si on allait jouer. C’est vrai, le terrain avait été recouvert d’une épaisse couche de paille pour le protéger. Il y a en avait bien 50 centimètres. Il y avait un monde fou dans le stade. Jusque sur le bord du terrain. Notre demi de mêlée, Bergougnan, était obligé d’écarter les gens quand il voulait faire une remise en jeu à la touche." Robert Soro mesurait 1, 85 m pour 115 kg, des proportions éléphantesques pour l’époque. Avec Alban Moga, de Bègles (1, 87 m, 118 kg), il formait une deuxième ligne d’un tonnage exceptionnel, c’était l’atout majeur du XV de France. Les Gallois se sentaient diminués face à de tels gabarits, surmotivés, ils avaient décidé d’employer tous les moyens. Parce que Robert Soro prenait des ballons en touche, poussait en mêlée et s’autorisait des charges. Les Gallois l’attendaient au tournant : "Dans un regroupement, le pilier Les Anthony m’a piétiné durement. Ils m’ont porté à quatre sur le bord de la touche, le temps que je récupère. À partir de là, j’ai fait un grand match."

Embuscades en série

À travers les récits, on ressent encore la tension de cette bataille hivernale. Ils retracent cinq arrêts de jeu pour repousser la foule, surexcitée par l’affrontement des packs. Un braillard tenta même d’agresser un joueur français mais le deuxième ligne Bill Tramplin le remit tout de suite à la raison. La première ligne galloise Cliff Davies-Mal James et Les Anthony avaient pris le parti de faire des entrées en bélier. Les Anthony, mineur de Neath serait qualifié de "traître de western" par certains chroniqueurs et ne serait plus jamais sélectionné. On imagine donc une rencontre rude et plutôt hachée.

C’est ce qui ressort des souvenirs de Soro : "Ils cassaient le jeu tant qu’ils pouvaient. Ils simulaient des blessures. Nous, on avait mis en place une combine : Moga prenait le ballon, me le passait. Et moi je le donnais à Bergougnan qui donnait un grand coup de pied en touche." Les deux colosses avaient fait une razzia, 37 ballons conquis contre onze, ration exceptionnelle. Oui, "Bambi" Moga, charcutier aux halles de Bordeaux, sautait comme un cabri malgré son poids généreux. Cette rencontre toute en tension ne fut pas un match de grandes envolées, Soro ne l’a jamais caché porté par sa modestie : "Ce n’était pas la meilleure prestation de ma vie mais celle où, avec mes équipiers, nous avons été plus intelligents que les Gallois sur le plan tactique." Il sut quand même répondre présent sur les points chauds, c’est une certitude. Les témoins évoquent la troisième ligne Prat-Basquet-Matheu se jetant sur les demis adverses "comme un vol de gerfauts" (selon Henri Garcia, auteur de la fabuleuse histoire du rugby). On sait que les trois essais français furent le fruit de cafouillages ou de fautes adverses. Après un coup de pied à suivre de Louis Junquas, Guy Basquet profita d’un cafouillage entre Ossie Williams et Glyn Davies pour marquer après dribbling. Les deux autres essais furent marqués par les trois-quarts, sur interceptions du centre de Bourg-en-Bresse Maurice Terreau, héros oublié de cette rencontre. Il marqua d’abord lui-même puis envoya l’ailier Mick Pomathios à l’essai. Le score final, 11-3, fut celui d’un triomphe selon les critères de l’époque. D’autant plus que M. Bean avait refusé deux essais à Jean Lassègue et à Michel Pomathios. Au coup de sifflet final, la foule envahit le terrain, bien sûr. "Les spectateurs me tombaient dessus. Ils me donnaient de grandes claques dans le dos. Les flics ont dû me protéger", se souvenait Robert Soro. Difficile de se faire une idée très précise là aussi car les Gallois portèrent également le grand Pomathios en triomphe. Son essai et son allure sculpturale le destinait à incarner cette victoire mémorable. On sait aussi que certains énergumènes balancèrent des fruits et des bouteilles sur les Français. Notre confrère Didier Navarre a rencontré Robert Soro bien plus tard : "Il estimait que ces Gallois n’étaient pas les plus forts de l’histoire. Il ne comprenait pas trop pourquoi on avait fait de lui un héros après ce match qui, selon lui, n’avait pas été un sommet. Il était beaucoup plus fier de la victoire face aux Anglais 15-0, le 29 mars suivant. Il avait notamment fait une charge sur trente mètres pour marquer un essai malgré quatre défenseurs. Pour lui, cette histoire du Lion de Swansea, ça venait surtout des journalistes."

Une formule de journaliste

On connaît l’auteur de cette formule, il s’appelait Vivian Jenkins. C’était un ancien international gallois reconverti dans la presse pour parler de rugby et de cricket. Il était devenu une plume fameuse, un conteur exceptionnel à l’oral comme à l’écrit, un gars qui savait donner une dimension épique aux parties les plus communes. Et à cette époque où la télévision pointait à peine son nez, ce genre de talent était aussi précieux au rugby que les exploits des joueurs en soi. Au cœur de cet après-midi sibérien, son imaginaire avait été réchauffé par les charges du massif Robert Soro. Son pouvoir d’évocation avait fait le reste. 75 ans après, il se propage encore. Sans vraiment le vouloir, il avait été le seizième homme du XV de France.

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