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Guirado : « Avec Novès, ça a été exceptionnel »

  • Guilhem Guirado (France) après le match contre le Pays de Galles
    Guilhem Guirado (France) après le match contre le Pays de Galles Midi Olympique - Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
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Guilhem Guirado a officiellement pris sa retraite internationale dimanche soir à l’issue du quart de finale de la Coupe du monde perdu contre le pays de Galles (20-19). Une déception immense pour celui qui a été capitaine de cette équipe de France à 33 reprises en 74 sélections. Sa dernière aventure avec les Bleus, il l’aura vécue de façon un peu paradoxale. Capitaine reconnu et valorisé par ses partenaires, le futur Montpelliérain a subi un climat de défiance de la part du staff technique. Souvent tenu éloigné des décisions importantes, il a même été parfois écarté du XV de départ au profit de Camille Chat.

Au lendemain de l’élimination de son équipe, Guirado, toujours très discret, a tout de même accepté de revenir sur cette dernière aventure. Rendez-vous avait été pris à l’hôtel Nikko, situé en plein cœur du centre-ville d’Oïta, en fin de matinée, juste avant que la délégation française ne prenne la route de l’aéroport pour rentrer en France. À l’heure dite, il a débarqué dans le hall en tenue de ville, un drapeau d’une célèbre marque de bière attaché à la taille à la façon d’un pagne. « Je vous préviens, je n’ai pas dormi de la nuit », a-t-il annoncé d’emblée de façon guillerette, comme pour mieux signifier qu’il avait profité jusqu’au bout de ses partenaires. Mais à l’instant de débuter l’entretien, Guilhem Guirado a endossé une dernière fois son habit de capitaine du XV de France. Avec beaucoup de respect pour ce maillot, mais aussi quelques messages très clairs.

Quel est votre sentiment au lendemain de cette défaite en quart de finale de Coupe du monde ?

Je suis dégoûté… Abasourdi. C’est dur à encaisser. Vraiment. Peut-être encore plus quand on passe plus de vingt minutes à regarder le match sur le bord du terrain comme moi. C’est comme ça (il souffle longuement). Le pire, c’est que nous avons eu les occasions pour tuer le match. Malheureusement, on a reproduit les mêmes erreurs que d’habitude. Sur la gestion, on n’a pas été bons, ni efficaces. Mais c’est la vie, on ne peut pas revenir en arrière.

Est-ce difficile d’entendre que c’est ce qui a finalement marqué l’ère de votre capitanat ?

Non, parce que c’est la vérité. Et deux fois non, parce qu’on a souvent craqué lorsque je n’étais plus sur le terrain. J’ai souvent été spectateur de ces moments-là et même complètement inutile.

Est-ce d’ailleurs parce que c’était votre dernier match que vous vous êtes autant investi sur le bord du terrain en fin de rencontre face au pays de Galles ?

Oui, parce que je sentais que la fin de match allait être difficile, que ça allait se jouer sur un détail. Et c’est ce qui s’est passé. Une mêlée un peu compliquée et un arrachage de ballon, c’est tout ce qui a fait basculer le sort de la rencontre. Et c’est un peu à l’image de ce que l’on a fait ces dernières années. Franchement, c’est dur à encaisser.

Comment avez-vous vécu le geste de Sébastien Vahaamahina ?

"Vahaa" a pris conscience de son erreur, il était dépité et agacé. Il en fait part aux joueurs dans le vestiaire. Mais la réaction a été unanime : le soutien à "Vahaa" s’est fait naturellement (lire en page 4). Sans mot d’ordre de qui que ce soit. Dans une famille, ça arrive de faire des erreurs. Mais la famille reste plus forte. Si nous n’avions pas eu les occasions de gagner ce match, je vous aurais peut-être répondu autre chose. Mais même à 14 contre 15, on aurait dû gagner ce match. Certes, le geste de "Vahaa" n’a pas sa place à ce niveau par rapport au devoir d’exemplarité que nous avons tous, en raison aussi de ce que ce sport représente, mais chaque joueur est susceptible de commettre un jour une erreur.

Vous avez aussi perdu ce match à cause d’une dernière mêlée mal maîtrisée. Ne pensez-vous pas qu’il aurait fallu laisser Rabah Slimani sur le terrain pour les sept dernières minutes de la rencontre ?

Qui sait si Rabah aurait fait mieux qu’Emerick sur cette mêlée ? Tout le monde connaît la force de Rabah dans ce secteur de jeu, mais tout le monde sait également les efforts qu’il avait fait jusque-là. De toute façon, le match, on ne le perd pas sur cette action. On oublie de le gagner bien plus tôt. C’est un fait de jeu qui nous prive d’une demi-finale de Coupe du monde, mais qui va permettre à la jeunesse d’apprendre.

Que vous a dit Warren Gatland à la fin de la rencontre ?

Il m’a félicité pour ma carrière et pour le match que nous avions réalisé.

Il a déclaré après la rencontre que la meilleure équipe avait perdu…

C’est retour vers le futur (rires). En 2011, la meilleure équipe n’avait pas gagné non plus (il fait ici référence à la demi-finale de la Coupe du monde entre le XV de France et le pays de Galles, N.D.L.R.). C’est comme ça. J’espère que d’ici le prochain Mondial en 2023, nous aurons gagné en constance, en régularité. Je serai désormais le premier supporter du XV de France à l’avenir. J’ai tellement aimé porter ce maillot… (long silence). Je ne pensais pas un jour arriver jusque-là. Et ma porte sera toujours ouverte pour mes partenaires, notamment les jeunes. Si je peux les aider, ce sera un plaisir.

On a vécu comme des frères

Vous parlez beaucoup des jeunes joueurs, de vos partenaires. N’avez-vous pas eu l’impression parfois que votre altruisme a nui à vos performances individuelles ?

Je ne crois pas ! J’ai toujours pensé que les joueurs à mes côtés étaient bien plus importants que ma propre personne, que mon propre statut. Sans eux, je n’aurai jamais été le capitaine que j’ai été. Sans eux, je n’aurais été personne. C’est pourquoi je place toujours l’intérêt collectif au-dessus des individus. Pour moi, le plus important est d’avoir le respect de mes partenaires.

Ce qui était le cas, non ?

Je l’espère ! Je ne peux pas être formel, mais j’ai toujours eu beaucoup d’estime pour les joueurs qui ont porté ce maillot. Je pense avoir toujours été bienveillant, notamment avec les jeunes. Mais aussi avec les autres. Porter le maillot de l’équipe, c’est un changement de vie. Il n’est pas toujours simple à appréhender. Moi le premier, j’ai dû me construire en fonction de ça. Voilà pourquoi j’ai toujours fait en sorte d’accompagner les nouveaux sur ce chemin.

Mais n’avez-vous jamais souffert de cette situation ?

Non, parce que je pense être quelqu’un d’altruiste. C’est ma nature. Je suis certes discret et réservé, mais j’aime aller vers les autres. De mon poste d’observation, je pense avoir aidé à révéler des caractères au sein du groupe. C’est important que chacun trouve sa place, surtout lorsque l’on vit quatre mois ensemble. Et je ne parle pas ici de rugby, mais de la vie quotidienne.

Y a-t-il eu à vos yeux de belles révélations durant cette période de vécu commun ?

Non, mais j’ai continué à apprendre sur chacun de mes partenaires. Avec certains, je suis allé un peu plus en profondeur. Même si c’est arrivé parfois dans des conditions un peu particulières (rires).

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Non (il rigole franchement). Parce que c’est ce qui fait la beauté et la force d’une équipe de rugby. Au début de notre aventure, j’avais dit à mes partenaires que la préparation d’une Coupe du monde, ça change une vie. Demandez-leur, mais je crois que je ne leur ai pas menti. Je suis sûr que chacun a été marqué au fer rouge par notre aventure et par l’esprit qui nous a habité durant cette Coupe du monde. Quatre mois à vivre ensemble, ça forge un état d’esprit. On a vraiment vécu comme des frères. Avec des hauts et des bas, comme dans une vraie famille.

Vous avez loué la qualité de la jeunesse française. Êtes-vous optimiste pour l’avenir de l’équipe de France ?

Le talent et les qualités rugbystiques sont là. Je ne sais pas si les gens se rendent compte, mais réaliser ce qu’on fait en quart de finale contre le pays de Galles, c’est exceptionnel. Peu d’équipes dans le monde sont capables de marquer les essais que nous avons inscrits. Mais il faut aussi une prise de conscience générale sur le travail qu’il reste à faire. On doit devenir plus constant comme le sont par exemple le pays de Galles ou l’Irlande. En résumé, le talent sans le travail, ça ne sert pas à grand-chose.

Après la rencontre, Jean-Baptiste Elissade a déclaré : "Les joueurs doivent comprendre qu’ils doivent s’entraîner tous les jours comme des champions." Vous partagez ?

C’est une évidence !

Mais tous les joueurs partagent-ils cette vision ?

S’ils ne le savent pas encore, ils vont vite en prendre conscience. Personnellement, je me suis toujours astreint à des séances de travail supplémentaires, je me suis toujours imposé une hygiène de vie importante. J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à la récupération. J’ai eu la chance d’avoir un club (RC Toulon) très fort à mes côtés, qui m’a beaucoup demandé, mais qui m’a aidé à construire ma carrière internationale. Jouer en équipe de France impose des saisons de onze mois. Un dur labeur. Le travail, c’est donc le salut pour ne pas laisser la place à la concurrence de s’installer. Qu’elle soit en club ou en équipe de France. Et je peux vous jurer qu’il faut avoir les nerfs solides pour tenir sur onze mois et être compétitif en Top 14, en Coupe d’Europe et avec le XV de France.

Puisque vous parlez de Toulon, Mourad Boudjellal, votre ancien président, nous a confié qu’il avait un immense respect pour vous. Il a même ajouté que vous pouviez revenir à Toulon avec Montpellier, marquer un essai et gagner, mais que vous seriez toujours le bienvenu…

On verra s’il dit toujours ça quand on viendra vraiment gagner (il se met à rire très fort). Mais je croiserai Mourad avec plaisir, quoi qu’il arrive. D’ailleurs, je compte bien jouer ce match dans trois semaines.

Votre génération a parfois été qualifiée de "loosers". Est-ce que cela a été difficile à entendre ?

Non, je suis hermétique à tout ça. Je prends beaucoup de recul par rapport aux critiques. J’ai beaucoup de respect par rapport aux journalistes. Ce n’est pas un métier facile. Et j’estime que nous devons travailler avec les médias pour donner une bonne image du XV de France. Les critiques, ça fait partie de notre métier. Mais celles qui m’intéressent vraiment, c’est celles de mes entraîneurs, de mes partenaires.

N’avez-vous jamais vraiment souffert de tout ce qui a été dit ou écrit ?

C’est dur, mais les faits sont là. Les critiques sur l’équipe de France ne datent pas d’hier. Et ce n’est pas propre à notre sport. On espère toujours le meilleur pour le sport français. Et puis, je vais vous faire une confidence : à côté de vos critiques, les miennes, sur mes performances, sont bien plus dures, bien plus saignantes. Je suis rarement sorti satisfait d’une rencontre. Cela fait partie de mon éducation. C’est ce que j’ai appris à Perpignan. La remise en cause permanente est essentielle.

Je ne dirai rien qui puisse nuire à l’équipe de France

Vous avez dit plus tôt que vous ne pensiez pas un jour en arriver là. Pourquoi ?

Porter le maillot de l’équipe de France, représenter son pays, c’est un rêve de gosse. Mais y parvenir, c’est un long chemin très difficile. Je ne pensais pas un jour devenir capitaine du XV de France, ni le rester aussi longtemps. Plus jeune, je n’avais pas coché cette case. Ça m’est tombé dessus alors que je n’étais pas à la recherche de ça. J’ai d’ailleurs beaucoup d’estime pour les gens qui ont cru en moi. Choisir un capitaine en équipe de France, c’est une mission difficile.

Rendez-vous ici hommage à Guy Novès ?

Oui, bien sûr. Je ne le connaissais pas personnellement et j’ai beaucoup appris à ses côtés. Au début, il m’impressionnait vraiment. Je me souviens de certaines conférences de presse à ses côtés où je n’étais pas super à l’aise. Aujourd’hui, je peux vous dire que ça a été exceptionnel avec Guy Novès. Je me suis construit en tant que capitaine grâce à lui. Il m’a donné beaucoup de confiance, ce qui était capital dans mon rôle.

Avez-vous retrouvé cette même confiance avec le staff de Jacques Brunel ?

C’était très différent. De mon côté, j’ai toujours été loyal. J’ai notamment toujours fait passer les messages des joueurs en priorité. De par mon statut, tous les joueurs venaient me voir pour me faire remonter les griefs, les demandes ou d’autres choses. J’étais un peu le cahier de doléances. Ça n’a pas été simple, mais je me devais d’être ce relais entre les joueurs et le staff. Je l’ai fait parfois au détriment de ma propre personne. Et surtout, je l’ai fait le plus naturellement possible, avec franchise et transparence.

Penser dès aujourd’hui à 2023, ce serait une belle connerie

Mais "le problème Guirado" a été le fil rouge de cette Coupe du monde. Avez-vous le sentiment que le staff vous parfois manqué de respect ?

(il sourit) J’ai parfois un peu chargé, mais c’est comme ça… En tout cas, je peux vous jurer que ma ligne de conduite a toujours été la même. Ma priorité a toujours été l’équipe de France, pour tout ce qu’elle représente, pour tous les joueurs qui ont porté ce maillot.

Mais auriez-vous aimé vivre plus sereinement cette Coupe du monde ?

ll y a eu beaucoup de polémique autour de mon cas, mais ça m’a aussi permis de grandir encore un peu. Évidemment que j’aurais aimé jouer davantage dans ce Mondial. Mais je respecte la hiérarchie, c’est comma ça. C’est mon éducation, ma nature. Je ne dirai donc rien qui puisse nuire à l’équipe de France. Cette expérience, je m’en suis servie au quotidien durant cette Coupe du monde pour nourrir mes discours. Je suis sûr que les joueurs ont compris mes messages parce qu’ils savaient ce que je vivais. Et même si j’ai parfois eu des mots très durs en interne, tout le monde a compris.

Votre retraite laisse une place vacante à la fonction de capitaine du XV de France. Qui a, selon vous, le profil idéal pour vous succéder ?

Ce n’est pas à moi de juger. Le nouveau sélectionneur fera son choix en son âme et conscience. En revanche, celui qui sera choisi doit savoir que cette fonction peut être éphémère. Et qu’elle est éminemment complexe.

Pensez-vous que l’équipe de France est entre de bonnes mains dans la perspective du Mondial 2023 en France ?

Je l’espère… Mais la priorité, c’est le Tournoi des 6 Nations 2020. Penser dès aujourd’hui à 2023, ce serait une belle connerie. Une équipe, ça se construit année après année. L’Irlande a agi ainsi, le pays de Galles aussi. Ces Nations se sont appuyées sur une ossature de joueurs sans en changer tous les quatre matins. Parce que changer dix joueurs entre chaque rencontre, ce n’est pas ce qui rend plus fort. Et ça, j’aimerais bien que tout le monde en ait conscience. Le rugby français n’en serait que plus fort.

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Les commentaires (1)
Sangil Il y a 4 années Le 24/10/2019 à 21:20

Un bon gars, toujours digne et correct, quel que fut le résultat, ce qui est loin d être le cas des dirigeants et des coaches actuels (et a venir) de la FFR.