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De Toulouse à Castres, Trévise et Bayonne, Christian Gajan ouvre sa boîte à souvenirs

Par Jérôme Prévôt
  • Christian Gajan.
    Christian Gajan. Manuel Blondeau / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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L’ancien entraîneur de Toulouse, Castres ou Bayonne revient sur son long parcours. Liberté de parole garantie et indépendance revendiquée, avec hommages à ses mentors, Son père, Jean Gajan, robert Bru, jean Fabre et pierre Villepreux.

En survolant votre parcours, on est frappé par une chose : vous avez entraîné le Stade Toulousain dès 1981, à 24 ans. Était-ce une blague ?

Non, non, j’ai bien entraîné Toulouse en étant plus jeune que les trois quarts des joueurs, dont les internationaux Rives, Skrela, Gabernet, Harize, Novès. En plus, je n’étais qu’un joueur de nationale B. Je l’ai fait à la demande insistante de Jean Fabre. Il m’avait prié de devenir entraîneur car, sinon, Robert Bru ne voulait pas venir.

Ah bon ? Le mythique Robert Bru, père de la méthode stadiste, ne voulait pas entraîner sans vous ?

Il voulait travailler avec quelqu’un qui connaisse le Stade Toulousain de l’intérieur. Il avait proposé deux noms, le mien et celui de Jean-Claude Sans, un éducateur formidable mais qui n’a jamais voulu entraîner les seniors. Robert Bru me connaissait car j’avais été son élève au CREPS. Il avait une grosse aura d’enseignant. Gérald Martinez et Serge Gabernet avaient poussé pour qu’il vienne. Mais lui ne se sentait pas encore la dimension d’un entraîneur en bonne et due forme. Il voulait un gars qui connaisse déjà les joueurs.

Cette expérience, surprenante, fut-elle positive ?

Excellente. Robert Bru apportait sa méthode très novatrice. Elle reposait sur l’entraînement par séquences, avec des ateliers de cinq ou six joueurs. Ensuite, il nous faisait travailler le "mouvement général". Attention, tout le monde s’en prévaut aujourd’hui, mais c’était très moderne et surtout, ça pouvait se transformer en mauvais "globalou" si on ne savait pas le maîtriser. Lui le maîtrisait, croyez-moi.

Pourquoi craignait-il de se retrouver face aux joueurs toulousains ?

Le Stade était un club traversé de guéguerres internes. Ce n’était pas facile à gérer. Chez les joueurs, il y avait de sacrés caractères. Les Gabernet, Novès, Harize par exemple. Il y avait des internationaux qui ne se parlaient pas forcément entre eux. Oui, ils étaient durs à gérer. Robert était un homme toujours courtois, posé, un vrai pédagogue. À un moment donné, il avait été heureux de pouvoir échanger les trois-quarts et les avants avec moi en cours de saison, car certains lui menaient une vie trop infernale. Après, Pierre Villepreux est revenu à Toulouse, il est devenu son adjoint. Moi tout naturellement, j’ai pris la Nationale B.

Racontez-nous : était-ce facile d’entraîner, à 24 ans, une vedette comme Jean-Pierre Rives ?

Oui, il était très facile à vivre. Mais on avait l’impression qu’il ne s’entraînait pas assez, qu’il n’aimait pas trop ça. Je me disais, mais comment fait-il ? Et puis, un jour, je suis allé chez ses parents et j’ai compris. Il s’était fabriqué une salle de musculation personnelle. Il se préparait seul, à fond. Les séances collectives, ce n’était pas sa tasse de thé.

Quels ont été vos mentors en tant qu’entraîneur ?

Il y en a quatre. Mon père Jean que j’ai perdu à l’âge de 20 ans. Il en avait 48. Il avait entraîné le Racing, le PUC, le Stade Toulousain et l’équipe de France juniors. Il m’a tout donné. Ensuite, il y a Jean Fabre, président monument qui m’a mis le pied à l’étrier. Le troisième, c’est Robert Bru, bien sûr. Le quatrième, c’est Pierre Villepreux. L’homme le plus capable de mettre en adéquation la théorie et la pratique.

On vous retrouve entraîneur du Stade Toulousain entre 1990 et 1993…

J’avais, entre-temps, entraîné les Reichel avec bonheur. Je bossais avec Guy Novès qui fut appelé ensuite comme adjoint de Villepreux et Skréla, au départ comme préparateur physique. Après le départ des deux premiers, il y a eu un clash entre Novès et Fabre. Novès est parti à Blagnac. Je me suis retrouvé à la tête de l’équipe première, finaliste du championnat face à Bègles et vainqueur du Du-Manoir en 1993. J’ai vécu aussi l’élimination incroyable face à Dax en huitième de finale 1992. Un match avec zéro introduction en mêlée pour nous en deuxième mi-temps. Une défaite que Jacques Fouroux m’avait prédite : "Vous ne serez pas champions cette saison, même si vous avez une belle équipe !" Je ne le croyais pas sur le moment. Mais ce match venait après la courte période où Jean Fabre avait été à la tête de la FFR, avant l’élection surprise de Lapasset en décembre 1991. Tout s’est renversé…

On oublie souvent qu’en 2001, vous êtes dans le staff de Toulouse champion de France…

René Bouscatel m’avait appelé pour entraîner les avants dans un trio composé de Guy Novès, manager, et de Philippe Rougé-Thomas, chargé des trois-quarts. Ceci succédait au duo Novès-Santamans qui avait connu des tiraillements. Sportivement, ce fut une réussite mais je n’ai pas supporté ce fonctionnement. Je ne critique pas, peut-être parce que je n’étais pas fait pour être adjoint, après avoir été entraîneur seul ou entraîneur principal. Ce fut difficile de travailler pour moi dans l’ombre de Guy Novès avec qui j’avais été étudiant, entraîneur des juniors. Je me suis régalé les deux premières saisons, la troisième ce fut plus difficile. J’ai sauté sur l’occasion de revenir à Castres après un appel de Pierre-Yves Revol.

Parlez-nous de votre premier passage en Italie,

au milieu des années 1990…

Un grand souvenir. Le Benetton était à l’époque plus professionnel que Toulouse. Les structures étaient magnifiques. J’ai trouvé là-bas un esprit extraordinaire, un sentiment d’appartenance phénoménal autour de l’identité Benetton. J’ai un souvenir très fort des obsèques de la mère de Luciano Benetton, aux côtés de la famille. Toutes les filiales étaient représentées avec le président, l’entraîneur et le capitaine. Lors du premier noël, j’ai vécu une soirée magnifique avec tous les sportifs invités dont Flavio Briatore, pour la Formule 1. Sur le plan sportif, nous avons été champions d’Italie et nous avons gagné trois matchs sur six en Coupe d’Europe, dont une fois chez les Harlequins. Résultat historique pour le rugby italien.

En 2012-2013, vous vous êtes retrouvé aux commandes des Zebre, la franchise italienne. Franchement, on a souffert pour vous : 22 matchs et 22 défaites en Ligue Celte et en Coupe d’Europe. C’est dur à encaisser, non ?

Pas tant que ça. C’est Jacques Brunel qui m’a proposé de prendre cette équipe destinée à endurcir les jeunes italiens. Il voulait aussi que j’aide Alessandro Troncon à devenir un entraîneur. Je ferais remarquer qu’avec un effectif sans expérience, nous avons pris treize fois le bonus défensif. En plus, les arbitres britanniques ne nous faisaient pas de cadeaux. Je me souviens de Simon Easterby, entraîneur des Scarlets venant me féliciter en reconnaissant que sa victoire était usurpée. En plus, les conditions étaient difficiles. Chaque déplacement était un vrai périple. Rien que pour aller de Parme à l’aéroport de Milan, il fallait deux heures et tout était à l’avenant.

Comment vous êtes-vous retrouvé à la tête des Sanix Fukuoka au Japon ?

Je remercie Thomas Castaignède qui les a aiguillés vers moi. Ils voulaient une touche française. J’ai passé deux saisons formidables sur le plan sportif et je suis parti en laissant un projet en anglais pour les quatre saisons suivantes. Sur le plan personnel, ce fut plus difficile à cause de l’éloignement mais j’ai eu la fierté d’être le premier entraîneur français professionnel au Japon, le seul avec Jean-Pierre Elissalde, sélectionneur, mais il n’est pas resté très longtemps. Ce poste de sélectionneur, on me l’avait proposé mais je n’en voulais pas, par respect pour les Sanix Fukuoka qui m’avaient contacté les premiers. J’ai donc proposé le nom de Jean-Pierre Elissalde sur les conseils de Pierre Villepreux.

À l’orée des années 2010, on vous retrouve

à Bayonne. Une expérience contrastée, non ?

Oui, Francis Salaïgoty m’avait recruté en cours de saison, à dix journées de la fin. Le club était relégable, nous avons redressé la barre en gagnant un match sur deux et le dépôt de bilan de Montauban nous a offert le maintien. La saison suivante, nous terminons septièmes à un point de la Coupe d’Europe.

Puis, Alain Afflelou est arrivé à Bayonne et ça a tout bouleversé...

Alain Afflelou était arrivé comme actionnaire et il y avait des élections qui s’annonçaient. Il m’a invité cinq fois chez lui, j’ai refusé. La sixième fois, j’y suis allé avec mon épouse et Michel Cacouault (décédé depuis, N.D.L.R.). Il m’a demandé de le soutenir pour les élections qui devaient l’opposer à Francis Salagoïty. Il m’a aussi demandé si ça me gênait de travailler avec Bernard Laporte, qui arrivait près du club. Pour Laporte, j’étais d’accord. Pour les élections, j’ai dit non car Francis Salagoïty m’avait recruté et je ne pouvais pas moralement m’opposer à lui. Quand j’ai quitté le domicile d’Afflelou je savais que j’avais loupé un contrat de cinq ans où j’aurais décidé de mon salaire. Je me suis donc retrouvé avec un contrat de deux ans. Les gens qui grenouillaient autour d’Afflelou, des gars que je n’aimais pas et que je ne veux pas citer, n’ont eu de cesse d’essayer de me faire virer. Ils en ont eu l’occasion avec la fameuse défaite à Biarritz et l’irruption de Lucien Harinordoquy. Pourtant, je m’entendais bien avec Afflelou, un homme sympathique. Mais il survolait la situation. Ma fierté veut qu’après mon limogeage, les joueurs m’ont invité à manger avec mon staff et une remise de cadeaux. C’était surréaliste et gratifiant.

Êtes-vous d’accord avec l’avis d’Alain Afflelou sur le Gallois Mike Phillips, qualifié de "pochard" ?

Non, je ne suis pas d’accord. J’appréciais beaucoup Mike Phillips, c’était un gars qui se préparait sérieusement. Il était joyeux, il aimait rire mais ce n’était pas un charlot ni un pochard. Alors, oui, un soir, les joueurs sont sortis et il s’est fait attraper dans une séance vidéo. Et des gars, pour faire les intéressants auprès du président, sont allés le dénoncer.

À Bayonne, on vous a vu aussi vous plaindre de la mainmise des agents sur les clubs professionnels…

Tout le monde le sait, c’est un secret de Polichinelle : les agents cherchent à s’immiscer dans les clubs pour prendre le pouvoir. Ils cherchent à se maquer avec les entraîneurs pour imposer les joueurs de leur écurie, même s’ils ne sont pas les meilleurs ou les plus adaptés. Je n’ai jamais voulu marcher dans cette combine, ni moi ni mon adjoint Thomas Lièvremont, un gars indépendant et sain. Nous nous sommes heurtés frontalement à un gars qui voulait devenir l’agent exclusif de l’Aviron Bayonnais. Les agents savent manipuler des présidents peu connaisseurs du rugby. Heureusement qu’il reste des exceptions, des Marti, des Merlin, des Revol, des gars du sérail. Mais certains entraîneurs sont entrés dans le système.

Quels sont les plus grands regrets de votre parcours ?

J’ai mal fini avec mes passages à Carcassonne et Cahors. Ça ne s’est pas bien passé avec certains dirigeants. C’est dommage.

Les plus beaux moments ?

Les années juniors au Stade Toulousain, une période magnifique. J’entraînais les Ntamack, Carbonneau, Cazalbou, Miorin, Dalla Riva, Lacroix, Berty… Nous avions été champions de France Reichel. En plus, j’en fréquentais la moitié à Jolimont dans la semaine, j’étais avec eux du matin au soir. J’ai aussi apprécié mon premier passage en Italie, au Benetton Trevise où j’ai été si bien accueilli.

Les collaborateurs qui vous ont le plus marqué ?

Christophe Urios est sur le podium. Je l’ai vu débuter à Castres. Il était travailleur, droit, il allait au bout de ses convictions. Je citerais aussi Thomas Lièvremont et Thierry Merlos, un gars méconnu avec une mentalité très saine. J’ai aussi beaucoup apprécié Alessandro Troncon et Andrea Sgorlon en Italie.

Les joueurs qui vous ont le plus marqué ?

J’en citerais d’abord deux : Lionel Nallet, que j’ai entraîné à Castres. Un type extraordinaire, un physique, un mental et une humilité remarquable. Et Fabien Pelous, que j’ai connu à Toulouse, pour sa dureté, son sens du combat, son impact sur les autres. Une pensée aussi pour Stéphane Ougier, Emile Ntamack et Yann Delaigue.

Quelle est l’évolution la plus décevante à laquelle vous avez assisté depuis vos débuts ?

C’est de voir des gars se comporter de la manière la plus bête ou la plus malsaine qui soit uniquement par intérêts, des mecs s’inféoder à un système parce qu’ils ont un contrat. Je pense surtout aux dirigeants et aux entraîneurs, moins aux joueurs, en tout cas je l’ai moins identifié. J’ai aussi du mal à voir autant de joueurs étrangers arriver dans notre rugby, y compris en équipe de France. On ne peut plus donner leur chance à nos jeunes, comme on le faisait au Stade Toulousain. Alors, c’est vrai le championnat était plus facile. Mais malgré tout, nous avons été trop loin. Y compris au niveau des entraîneurs. Attention, je ne voudrais pas paraître xénophobe ou raciste. Je suis parti à l’étranger moi aussi, j’ai apprécié les Davidson, Quesada, Reggiardo qui se sont installés chez nous. Mais je pense que nous avons aussi accueilli trop de médiocres, de nuls ou de malsains à côté d’eux. C’est le marché, c’est comme ça.

On vous sent assez amer sur cette question des entraîneurs…

Oui, les entraîneurs français ne sont plus considérés comme autrefois. À une époque, le monde entier s’arrachait Pierre Villepreux y compris en Afrique du Sud. Tout ça, c’est fini. Je suis frappé par la faiblesse de la formation des techniciens actuels. à une époque, un entraîneur était comme un menuisier ou ébéniste : il faisait un apprentissage avec des guides, des enseignants, des éducateurs pour être compétent à quarante ans. Maintenant après trois mois de stage à Marcoussis, tu es entraîneur. Je suis contre.

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