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Série - Histoires de la Coupe du monde : en 1991, guerre des primes et tensions politiques

  • Cette Coupe du monde mal préparée s’est terminée par un quart de finale homérique face aux Anglais, déterminés à faire disjoncter les Français à  l’image de leur ailier Heslop qui vient percuter Serge Blanco sous le regard d’Eric Champ et de Marc Cécillon.
    Cette Coupe du monde mal préparée s’est terminée par un quart de finale homérique face aux Anglais, déterminés à faire disjoncter les Français à l’image de leur ailier Heslop qui vient percuter Serge Blanco sous le regard d’Eric Champ et de Marc Cécillon.
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Le XV de France prépare la deuxième Coupe du monde de l’Histoire dans une atmosphère de confusion totale : Crise politique, débats sur les primes de matchs, tensions dans le groupe, non sélection de certaines figures...

C’est ce que le XV de France a fait de pire, en termes de préparation. Une forme de suicide et de cadeau fait aux Anglais de Will Carling, nos tombeurs en quart de finale, après un match de soufre et de poivre au Parc des Princes. La Coupe du Monde 1991 reste un florilège de tout ce qu’il ne faut pas faire si on veut mettre une équipe dans les conditions de la performance.

À l’origine du chemin de croix, il y avait cette crise fédérale majuscule : le patriarche Albert Ferrasse, attaqué par son fils spirituel Jacques Fouroux, sélectionneur de 1981 à 1990. Ferrasse avait été déstabilisé par cette brouille et par une autre, naissante, avec Guy Basquet, son allié agenais de toujours. Il en avait été réduit à faire alliance avec son opposant Jean Fabre (quel embrouillamini !). De ce foyer d’infection découla toute une série d’événements toxiques, comme des métastases parfaites pour affaiblir la FFR et faner sa vitrine bleue.

Fouroux avait quitté son poste à l’été 1990, il avait été remplacé par un improbable duo composé de Daniel Dubroca (ex-capitaine, Agenais bon teint) et de Jean Trillo qui faisait figure de parachuté. Le premier avait joué avec la plupart des sélectionnés, le second était d’une autre génération. Ils n’avaient pas une mauvaise relation, mais ils n’étaient pas en osmose. La nomination de Trillo résultait d’une idée, un rien machiavélique de Fouroux, pas fâché de perturber le pouvoir agenais et de couper l’herbe sous le pied de Pierre Villepreux, la grande référence. Écoutons ce que déclara Eric Champ bien plus tard : "Dans le staff, il y avait Daniel (Dubroca), mais il y avait aussi un type qui n’avait rien prouvé avant, rien prouvé pendant et rien prouvé après, je pense à Jean Trillo. Je ne parle pas du joueur, je parle de l’entraîneur. Dubroca, Serge (Blanco) et moi, on avait déjà une histoire commune, et Trillo venait un peu comme un cheveu sur la soupe. Il avait une vision du jeu qui ne collait pas avec celle du reste de l’équipe…" (2015, l’Equipe).

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La crise fédérale et la greffe béglaise

Le tournoi se passe pourtant correctement, avec un Grand Chelem loupé de très peu à Twickenham. Jean Trillo avait trouvé un terrain d’entente avec Pierre Berbizier, le "cerveau" de l’équipe. Mais en coulisses, les joueurs sont sensibles à l’air du temps. Ils sentent le professionnalisme arriver à grand pas, et… ils osent parler d’argent à Albert Ferrasse ! " Le rugby évolue et nous avec, vous aurez quelque chose." Les intouchables Serge Blanco, capitaine, et Franck Mesnel assument le rôle de porte-parole. Mais quelques jeunes comme Philippe Saint-André et Laurent Cabannes ne se gênent pas pour défendre un point de vue moderne : si le Mondial doit gagner de l’argent, les joueurs ont droit à leur part.

Avec le flottement au sommet de la pyramide, les élections du printemps qui consacrent les idées de Jean Fabre tout en laissant Ferrasse au pouvoir, les promesses présidentielles se perdent dans les sables. Aucune becquée ne tombe dans le gosier des oisillons tricolores. Puis l’équipe part à l’arrachée en tournée aux Etats-Unis (7 au 22 juillet), l’un des pires périples de l’histoire. Il a été mal préparé, mal pensé, conclu à la hâte, financé à grand-peine par une FFR exsangue (lire ci-après).

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Il faut en plus comprendre qu’entre-temps, le CA Bordeaux-Bègles était devenu champion avec un pack de flibustiers et les sélectionneurs avaient décidé d’intégrer la terrible première ligne Gimbert-Moscato-Simon. Ils débarquent dans le groupe comme des chiens dans un jeu de quilles, d’abord pour un Roumanie-France puis pour ce périple en Amérique et ils n’étaient pas du genre à passer inaperçus. On les voyait comme des jeunes loups prêts à tout bouffer. Dans les montagnes rocheuses, la concurrence est électrique entre ceux qui veulent garder leur place et ceux qui veulent la prendre. Midi Olympique titre : "Grêle de coups à l’entraînement". Serge Blanco fit plus tard ce récit : "Cette tournée fut catastrophique. Les entraînements étaient musclés, ce fut même une boucherie… Je faisais partie avec Eric Champ d’une ancienne génération qui s’opposait à la nouvelle, qui cherchait à prendre l’ascendant pour influencer le futur choix du staff." Au retour de la tournée, la division des joueurs apparaît au grand jour mi-août quand Serge Simon et Vincent Moscato sèchent carrément un stage prévu à Luchon et continuent leur route vers la Côte d’Azur. Ils avaient appris en lisant Midi Olympique qu’ils n’avaient plus guère de chances d’aller au Mondial. Jean Trillo dira peu après : "Leur départ fut un coup de couteau dans le dos. Avant le Mondial, j’avais été désavoué dans le choix de certains joueurs et ça a créé un climat de méfiance au sein de l’équipe."

Pierre Berbizier oublié

On était loin de la sérénité. Il fallait en plus tenir compte d’un fait crucial, les sélectionneurs avaient oublié un nom : Pierre Berbizier, demi de mêlée et stratège de l’équipe. Une décision colossale interprétée de diverses façons. On accusa Serge Blanco d’avoir intrigué contre lui. Lui dément, en faisant allusion à un règlement de compte interne au SUA : "Une bagarre en coulisses entre dirigeants en place et d’autres, qui voulaient le pouvoir. Le joueur s’en serait mêlé. La veille de l’annonce, j’appelle Dubroca qui me dit que Pierre sera de l’aventure. Le lendemain, il n’y est plus. Je n’ai jamais su ce qu’il s’est passé au cours du dernier comité de sélection." On croit savoir que Jean Trillo fit tout pour conserver Pierre Berbizier, avant de céder. Le mieux était de demander à Berbizier lui-même : "C’est très simple : il y avait un duel entre Albert Ferrasse et Guy Basquet, à la FFR, au comité et au club. On m’associait à Basquet, Dubroca était très lié à Ferrasse. Ils m’ont sorti à cause de ça, alors qu’ils étaient venus me rechercher pour le Tournoi 1991 lorsque j’étais blessé à une cheville. Mais tout ça, je ne l’ai su qu’après."

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Il fallut donc faire sans lui et lancer un demi de mêlée nommé Fabien Galthié, 22 ans et encore un peu tendre pour une échéance aussi écrasante. Les pronostiqueurs pensaient plutôt au Narbonnais Henri Sanz (28 ans) qui avait gagné la confiance du pack, mais sans doute pas celle d’un capitaine qui voulait recevoir les ballons le plus vite possible.

Voilà donc le XV de France lancé vers le Mondial vaille que vaille, mais toujours sans réponse au niveau financier. En tournée, ils s’étaient concertés plusieurs fois sur ce sujet : "Après une séance vidéo, j’étais tombé sur une réunion des joueurs entre eux. Je leur avais dit d’aller plutôt se reposer" se souvient Daniel Dubroca. Les joueurs se retrouvent ensuite à Hendaye au centre de Thalasso de… Serge Blanco (ça ne s’invente pas). C’est là que les joueurs haussent la voix sur les questions d’argent : "On avait demandé aux uns et aux autres, Ferrasse, Martin, Fabre, Lapasset. On ne voyait rien venir. Il faut savoir qu’à cette époque, on partait en tournée pour une maigre indemnité qui ne couvrait même pas le prix d’une communication téléphonique entre la Nouvelle-Zélande et la France." Les joueurs se montrent vraiment en colère, on parle de grève. Ferrasse rétorque : "Ils n’ont qu’à s’en aller, on en trouvera quinze autres à leur place." Jean Fabre se souvient : "J’étais d’accord avec eux, les Sudistes étaient déjà rétribués. J’ai défendu leur position en Comité Directeur, d’autant plus qu’ils ne demandaient pas grand-chose. J’ai vu alors une levée de boucliers, d’André Moga par exemple. C’était drôle de voir des gars parler d’amour du maillot, alors qu’en tant que président de club, ils cherchaient à piquer des joueurs du Stade toulousain avec des dessous-de-table. Ceci dit, Ferrasse était spécialiste des postures raides, avant de se montrer souple dans un second temps, à travers l’action de telle ou telle commission."

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À ce moment-là, la sérénité du groupe n’a pas progressé d’un iota. Surgit alors un homme de l’ombre, Serge Kampf, chef d’entreprise très aisé, qui gravitait par passion autour du XV de France depuis 1987. "Oui, il est arrivé pour régler lui-même nos primes," confie Blanco qui deviendra très lié avec lui, pour le plus grand bonheur du BO.

Les chiffres ont varié. Le plus crédible semble être celui de 200 000 francs, soit 30 000 euros distribués à chacun dans la discrétion, à la fin de la compétition. On apprendra aussi qu’il avait financé la fameuse tournée aux Etats-Unis de tous les dangers à hauteur de 230 000 euros, toujours dans la discrétion. La commission salvatrice évoquée par Jean Fabre, c’était donc lui en l’occurrence.

Voilà dans quelles conditions chaotiques la France aborde ce Mondial 1991, en partie organisé sur son sol. Il débute par trois matchs de poule contre la Roumanie, les Fidji et le Canada : trois victoires sans grands enseignements. Puis les Bleus payent en quart de finale les pots cassés de leur préparation erratique : une cruelle défaite 19 à 9 contre des Anglais remontés comme des coucous, et prêts à toutes les provocations (méditons tout de même sur leur ultime essai de Carling, il EST le rugby). Ultime soubresaut du grand pandémonium de l’année 1991, Daniel Dubroca qui dans les couloirs du Parc dévisse, saisit l’arbitre néo-zélandais M. Bishop par le col et le plaque au mur en l’incendiant de mots doux : "Oui, j’ai fait ce qu’il ne fallait pas faire. Je suis monté en pression, je lui ai dit ce que je pensais. C’était l’accumulation de plein de choses. Ses yeux étaient effrayés." La fin de toute une époque, dans la confusion.

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