Abonnés

Série - Histoires de la Coupe du monde : en 1995, mille petites histoires pour écrire la grande...

  • Olivier Merle, en demi-finale face aux Springboks.
    Olivier Merle, en demi-finale face aux Springboks. Icon Sport - PA Images
Publié le Mis à jour
Partager :

Fin juin, les Mondialistes de 1995 se sont retrouvés, à l’invitation de Laurent Bénézech et du Rugby Club, dans le petit stade de Courbevoie pour reprendre, à rebours, une inoubliable épopée... On y était…

Ce sont quelques hectares de verdure posés à un jet de pierres des gratte-ciel de la Défense. Un petit stade coquet comme un cheval, un club-house à l’anglaise où se serrent quelques banquettes de cuir, un comptoir en zinc et les photos, jaunies ou pas, de ceux ayant un jour défendu les couleurs de Courbevoie. Ce soir d’été, une centaine de personnes a donc répondu à l’appel de l’ancien pilar du Racing Laurent Bénézech et à l’invitation du « Rugby Club », ce cercle de rugbyphiles installé sur le boulevard Haussman, dans le huitième arrondissement parisien.

A lire aussi : Série - Histoires de la Coupe du monde de rugby : 1987, les pionniers français à la bonne franquette

Pour « Béné », l’idée était simple et consistait, en fait, à regrouper les Mondialistes de 1995 autour d’une volée de merguez, histoire de refaire à l’envi ce qui demeure l’une des campagnes les plus marquantes d’une équipe de France en Coupe du monde. De fait, il y avait ce soir-là une deuxième ligne Merle-Roumat qui fit souvent baisser les yeux de ses rivales, quelques fiers moutards du french flair (Sébastien Viars, Emile Ntamack, Guy Accoceberry…), deux anciens sélectionneurs (Christophe Mombet et Pierre Berbizier) et l’homme dont on dit, chez nous, qu’il avait bel et bien franchi la ligne des Springboks, ce jour de tempête où les Bleus s’inclinèrent d’un cheveu…

A lire aussi : Série - Histoires de la Coupe du monde : en 1991, guerre des primes et tensions politiques

Mais à quoi ressemblèrent les premiers pas de ces hommes-là en Afrique du Sud, au juste ? En préambule, Ntamack explique : « Je revois l’accueil d’une nation qui ne pensait alors qu’au rugby : d’immenses panneaux à l’effigie de Chester Williams à l’aéroport, des burgers ovales, des pots de moutarde ovales et partout, ces danseurs zoulous qui nous accompagnaient où que l’on aille. » Philippe Saint-André et ses coéquipiers, eux, étaient alors logés dans la lointaine banlieue de Johannesburg. Ledit « Milou » poursuit : « On s’entraînait dans un camp relativement éloigné de la ville et qui servait de défouloir aux détenus d’une prison. Là-bas, on a même fait un match contre les gardiens. Eux ? De vrais Afrikaners, de vrais golgoths… J’ai d’ailleurs souvenir d’une rencontre très rugueuse, d’adversaires voulant nous faire mal… Au final, on les avait pourtant crevés. Nous étions prêts, je crois ». En Afrique du Sud, le premier round du tournoi fut pourtant laborieux, poussif et, en interne, parfois agité : ce matin de printemps, la bande du capitaine Saint-André était donc réunie dans l’un des salons de son hôtel. L’heure était grave, puisque Pierre Berbizier s’apprêtait à donner la toute première composition d’équipe du Mondial : « Dans la mesure où je n’avais sous la main que vingt-sept joueurs, dit le sélectionneur, j’avais prévu de mixer les compos tout au long de la phase préliminaire. Mais les joueurs s’étaient évidemment fait tout un film… » Quand Guy Laporte, l’adjoint de Pierre Berbizier, égraina donc, du 1 au 15, les noms de la première compo, Olivier Roumat s’aperçut rapidement qu’il n’était ni deuxième ligne, ni flanker. L’ancien sélectionneur des Bleus reprend ainsi : « Passé le numéro 6, Olivier Roumat s’est donc levé, a foutu la chaise en l’air et quitté la salle en claquant la porte ! Voilà comment a débuté notre aventure sud-africaine ! »

A lire aussi : Série - Histoires de la Coupe du monde : 1999, des coqs au bord de la crise de nerfs

Pour Aubin Hueber, une blessure jamais cicatrisée…

Au moment où Roumat s’en allait, Guy Laporte interrogeait Pierre Berbizier du regard. Le patron fit signe à son adjoint de continuer. « Après l’annonce de l’équipe, j’ai alors demandé à Philippe Saint-André et Philippe Bennetton de se rendre dans la chambre de Roumat pour lui dire : « Si tu es dans cet état d’esprit, prends ton billet retour, il est à la réception ». C’était terrible pour moi. Ce joueur était tellement important dans notre dispositif. Mais je ne pouvais laisser passer un tel comportement. J’aurais perdu la face si je n’avais pas réagi ».

Dans la foulée, les Bleus se rendaient à l’entraînement. Olivier Roumat était du voyage et réalisait, sur le pré, une performance majuscule. Berbizier reprend : « À la fin de la séance, j’ai attendu que la presse soit partie, j’ai fait monter les joueurs dans le bus et, au bout de 500 mètres, j’ai demandé à Olivier Roumat d’enfiler ses tennis et de descendre du véhicule avec moi ». Sur le coup, les autres joueurs éclataient de rire, poussaient « la Roume » à se prêter au jeu, se risquaient même à des « crève-le ! » goguenards. Au moment où les deux hommes mettaient le pied à terre, le car des Bleus reprenait lui sa route vers l’hôtel. Berbizier se tournait alors vers le deuxième ligne de Dax et lui lançait, sévère : « Il n’y a plus que toi et moi, désormais. On rentre en footing. » Sur cinq kilomètres et face à un dénivelé positif, le joueur et son coach firent alors de leur mieux pour mettre l’adversaire dans les cordes. « Arrivés en haut, rigole Berbizier, j’ai dit à Oliver Roumat : « Si tu veux jouer au con, sache que je vais gagner plus souvent que tu ne le crois. » Il a ri, m’a serré la main et m’a dit qu’il avait pigé le message. Derrière ça, il a réalisé une Coupe du monde magnifique ». Au gré de trois victoires face au Tonga, la Côte d’Ivoire et l’Ecosse, les Tricolores arrachaient leur qualification en quarts de finale. Guy Accoceberry raconte : « Moi, je m’étais pété le bras contre l’Ecosse, lors du dernier match de poule. Sur le premier ruck, Marc Cécillon avait collé une poire à l’un de leurs avants qui s’était par la suite vengé sur ma personne : mon bras avait été pris en porte-à-faux… J’avais dégusté… »

A lire aussi : Série - Histoires de la Coupe du monde : 2003, Bernard Laporte et les garçons

À l’instant où « Acco » se blessait et alors que tous attendaient que ce soit Aubin Hueber, jusqu’ici considéré comme sa doublure, qui devienne le titulaire de l’équipe, Berbizier, Mombet et Laporte appelaient pourtant Fabien Galthié, alors en vacances chez Nick Mallett, en Afrique du Sud. « Galette » terminerait la compétition à la mêlée, provoquant chez Hueber une blessure qui ne s’est depuis jamais vraiment refermée. « Je n’oublierai jamais l’ambiance post-apartheid qui régnait en Afrique du Sud, enchaîne à présent Ntamack. Là-bas, les noirs et les métis me posaient plein de questions, voulaient savoir si je pouvais aller aux toilettes avec un blanc sans risquer la prison, si j’avais le droit de faire des études, si je pouvais voyager librement… C’était dingue, quand j’y repense… »
 

La chemise de Roumat, la crêpe de Galthié…

La suite ? Elle fut plutôt paisible face aux Diables Verts (36-12) et prit un tour mythique quelques jours plus tard, sous les trombes d’eau de Durban. « Dans le bus qui nous menait au stade, dépeint Olivier Merle, il régnait un silence de monastère. La pluie tombait, tombait et tombait encore. Au stade, des Zoulous en tenue de guerre faisaient des incantations pour que le déluge ne s’arrête jamais… Plus rien n’était rationnel, en fait… »

A lire aussi : Série - Histoires de la Coupe du monde : 2007, Chabalmania et lettre à France

Appelés une première fois sur la pelouse, les Tricolores étaient renvoyés aux vestiaires pour donner le temps aux jardiniers (ou aux balayeurs, plutôt…) de rendre le Kings Park plus fréquentable. « On est alors entré dans un vortex, poursuit Merluche. On était tous regroupés dans les vestiaires, sans trop savoir que faire de ce temps libre : des mecs s’étiraient, d’autres lisaient des bouquins… » Le match ? Il eut bien lieu. Et trente ans plus tard, il arrache encore un sourire ironique à Emile Ntamack : « On ne pouvait pas gagner cette demi-finale… C’était impossible… Aujourd’hui, tout le monde évoque l’action d’Abdel Benazzi mais des essais, on en aplatit trois sur ce match : sur une déviation de Philippe Sella, je marque entre les poteaux et l’arbitre (le Gallois M. Bevan), que je sens alors hésitant, décrète un en-avant. Un peu plus tard, Fabien Galthié plonge sur le ballon dans l’en-but adverse après une mêlée secouée : il est content, se relève, lève les bras au ciel mais l’arbitre évoque aussitôt un problème dont on n’a jamais connu le nom. […] Cette défaite, c’était écrit, quoi… Mais si ça a pu aider tout un pays à se reconstruire, c’est peut-être aussi bien… »

Battue à Durban (19-15) par les coéquipiers de François Pienaar, la bande à Berbize parviendrait néanmoins à arracher, face au XV de la Rose, la troisième place de la compétition. Et si ce Crunch de juin 1995 n’a pas vraiment marqué les mémoires, ce qui fut son prolongement naturel laisse en revanche à Laurent Bénézech un souvenir ému : « Nous avons terminé la compétition dans un bar de Pretoria : je revois une sorte de « diner » à l’américaine avec, en son centre, un immense comptoir. […] Pour punir Olivier Roumat, qui était arrivé en retard à la soirée avec sa traditionnelle chemise blanche impeccablement repassée, j’ai décidé de lui vider une bouteille de ketchup sur le torse. Là, c’est parti dans tous les sens… Fabien Galthié m’a renversé un énorme pot de pâte à crêpes sur la tête, les videurs ont fait irruption dans le bar et nous ont tous virés… On a quitté le pays peu après. » Quelques jours plus tard, la « rainbow nations » célébrait quant à elle l’une des épopées les plus marquantes de l’histoire du sport… Quelle vie, les petits…

Une partie des éléments provient des échanges des « Rencontres en Séronais », tenues le 28 juin 2023 à La Bastide-de-Sérou en Ariège.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (1)
JiaimeP Il y a 9 mois Le 14/07/2023 à 08:17

Faut peut-être corriger le titre non ? C'est pas de 1991 que vous parlez mais de 1995 !