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En 2002, Laporte et Depardieu volaient au secours de Bègles-Bordeaux

  • Bernard Magrez, Bernard Laporte et Gérard Depardieu. Bernard Magrez, Bernard Laporte et Gérard Depardieu.
    Bernard Magrez, Bernard Laporte et Gérard Depardieu. MIDI-OLYMPIQUE - GARCIA BERNARD
  • Après la victoire, Laporte et Depardieu s’embrassent. Après la victoire, Laporte et Depardieu s’embrassent.
    Après la victoire, Laporte et Depardieu s’embrassent. MIDI-OLYMPIQUE - GARCIA BERNARD
  • Kevin Venkiah, président ambitieux mais trop seul, aux côtés de Bernard Magrez. Kevin Venkiah, président ambitieux mais trop seul, aux côtés de Bernard Magrez.
    Kevin Venkiah, président ambitieux mais trop seul, aux côtés de Bernard Magrez. MIDI-OLYMPIQUE - GARCIA BERNARD
Publié le Mis à jour
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Qui ne se souvient pas de ce 28 septembre 2002 et de la conférence de presse surréaliste de Gérard Depardieu à Bègles ? Et de sa passe d’armes avec noël mamère. Le club girondin tentait de survivre dans la jungle du professionnalisme naissant. Retour sur un épisode extraordinaire qui devait mal se finir.

Ce n’est pas l’épisode le plus glorieux de l’Histoire du rugby béglais, mais à coup sûr le plus cocasse et le plus tragicomique. Tout le monde parle encore de ce 28 septembre 2002 jour d’un match CABBG-Stade-français et du parachutage de la plus grande vedette du cinéma français sur le stade André-Moga. Cette irruption de Gérard Depardieu l’espace d’une soirée dans le petit théâtre du championnat de France fit l’effet d’une bombe médiatique et la séquence extravagante qui suivit acheva d’en faire un moment inoubliable. Celui qui incarna Danton et Cyrano au cinéma, ne ménagea pas ses effets de manche, avec des attaques tonitruantes à l’endroit de Noël Mamère, maire de la cité girondine.

" Noël Mamère a ch. dans son froc de velours", déclara-t-il paré de la cravate du club, lors d’une une conférence de presse mythique aux côtés de Bernard Laporte. Dans le ciel, une patrouille d’avions Khalifa, partenaire miracle, survola le terrain, ce qui fit dire à un confrère particulièrement inspiré cette phrase savoureuse : "Quelques Béglais pure souche se pincent en levant les yeux au ciel. Ils purent constater que la nouvelle donne du rugby professionnel leur passe légèrement au-dessus de la tête." (Jean-Pierre Dorian dans Sud Ouest) C’est vrai que résumé comme ça, la scène relève de l’opéra-bouffe. Pour la comprendre, il faut se replacer dans le contexte. Le rugby avait sept ans de professionnalisme dans les jambes. Notre sport vivait encore dans les convulsions du passage d’un monde à l’autre.

Le SOS des frères Moga

Certains clubs au label "historique" se débattaient dans des difficultés inextricables. Comme pris par des sables mouvants, on les voyait s’enfoncer. À Bordeaux, le CABBG, les "damiers", jouait à Musard devant mois de 9 000 spectateurs. Le club essayait de se raccrocher tant bien que mal au wagon des poids lourds, dans le sillage déjà lointain du titre mythique de 1991. En 1992, à la mort d’André Moga, Jacques Chaban-Delmas avait demandé à ses trois fils de reprendre le flambeau, Alain, Alban et Michel avaient tenu la barre pendant dix ans en y laissant des sommes colossales, par générosité et sens de la tradition. Mais Bègles ne retrouva jamais l’euphorie de 1991, pas une finale, ni même une demie de championnat à se mettre sous la dent.

Le bilan était trop maigre, le coût financier trop lourd, les dépenses croissaient, les recettes stagnaient. Le trou se creusait. Les frères Moga annoncèrent leur retrait. On l’a oublié mais ce Bègles-là abritait des joueurs vedettes, Dourthe, Dusautoir, Laussucq, Brouzet… On en passe. Pour sauver le fleuron du sport bordelais, on cherchait des repreneurs, Thierry Lacroix encore joueur avait proposé un projet providentiel, avant de "sécher" purement et simplement le rendez-vous décisif dans les premiers jours de 2002. Les finances devinrent de plus en plus chancelantes. Au printemps 2002, le CABBG fut relégué administrativement pour un trou de 700 000 euros sur un budget de moins de 4,7 millions mais sauva sa peau in extremis en appel. Puis en juillet 2002, un autre projet émergea, à l’initiative d’un ami du club, Bernard Laporte, sélectionneur national,. Son pivot : Kevin Venkiah, homme d’affaires parisien d’origine mauricienne. Il avait croisé Laporte à Paris au stade Jean-Bouin, le charme de "Bernie", son désir sincère de sauver le CABBG avait fait le reste.

Patron d’une société prospère de recouvrement de créances, Venkiah avouait qu’il ne connaissait rien au rugby mais il était prêt à investir, les Moga firent un abandon de créance d’1,5 millions d’euros. Venkiah devait venir avec deux autres investisseurs. On parlait d’un certain Eric Serriès, ancien chef de cabinet du maire de Brive et d’un Anglais : Tony Meehan. On disait qu’il était producteur dans l’industrie musicale, mais aussi propriétaire du site internet de la Premier League. On imaginait déjà une sorte de milliardaire décontracté à la Richard Branson, il aurait dû gérer les droits à l’image des joueurs et trouver des sponsors. Jamais on ne le vit en Gironde. "Alors, le club a couvert sa défaillance. Il s’est substitué aux sponsors", lâchera sobrement Kevin Venkiah. Avec le recul, on a beaucoup d’indulgence pour cet homme qui s’est sans doute retrouvé "piégé", poussé sur le devant de la scène, avant d’être lâché par ses pseudo-partenaires. Il se démena pourtant pendant une saison, et trouva même le soutien d’un poids lourd : Bernard Magrez, figure du monde économique bordelais, patron de la société William Pitters et propriétaire de plusieurs vignobles.

KHALIFA : sponsor de la discorde

Magrez, c’était quand même quelqu’un, une vraie fortune, une vraie personnalité très connue sur la place de Bordeaux. Il prit 38 pour cent de la SASP (51 pour cent pour Venkiah). Magrez réussit ainsi à financer l’arrivée de Richard Dourthe en Gironde et c’est lui qui fit ensuite appel à son ami Gérard Depardieu, passionné de vin, et par ricochets, à Rafik Khalifa, richissime homme d’affaires algérien multicartes, le fameux patron de la patrouille aérienne privée. Il avait sa propre compagnie aérienne, Khalifa Airways, une banque, une chaîne de télévision. Il devait être partenaire du CABBG à hauteur de 300 000 euros sur deux ans, somme énorme pour l’époque.. C’est là que Noël Mamère, député-maire de Bègles jeta le premier pavé dans la mare. Pas question pour l’édile de venir voir le match Bordeaux-Bègles – Stade français. Il ne voulait pas cautionner l’arrivée de Rafik Khalifa, trop proche selon lui de la dictature au pouvoir en Algérie. Noël Mamère aussi c’était quelqu’un, il venait d’être candidat à l’élection présidentielle. Avec calme, l’ancien journaliste ne mâcha pas ses mots. Il ne voulait pas croiser à Musard un homme d’affaires aussi sulfureux, la "lessiveuse" des caciques du régime algérien expliqua-t-il. La passe d’armes Mamère-Depardieu fut tellement frappante que Thierry Ardisson lui consacra une partie de sa célèbre émission "Tout le monde en parle". Depardieu en avait vraiment fait des tonnes en réponse au député-maire : "Je suis peiné pour lui et pour son parti. […] Ce sont des propos racistes et fascistes. Il faudrait le chasser de son parti […]." Il évoqua même le mot de "ratonnade".

Qu’on soit d’accord ou pas avec Mamère, on peut se dire qu’il fallait un certain cran pour résister ainsi à une forme de pression populaire et médiatique quand on est maire d’une ville connue dans la France entière pour son club de rugby. "Ses propos sont d’une outrance telle qu’ils ne méritent pas de réaction, mais ne le grandissent pas […] Peut-être a-t-il dit ça parce qu’il y a des vignes en Algérie et du vin à vendre. Il m’a qualifié de raciste et de fasciste, je l’attends à mes côtés pour le combat pour la reconnaissance des sans-papiers ou celle du droit d’asile à de nombreux Algériens et Kabyles victimes du régime des généraux."

Rafik Khalifa ne vint finalement pas au stade ce samedi-là. Noël Mamère non plus. Mais le CABBG battit le Stade français futur champion, par 15 à 9, Gérard Depardieu posa avec les joueurs et à notre connaissance ne revint jamais au stade. Rafik Khalifa ne donna jamais les 300 000 euros car, dans les mois qui suivirent il tomba brutalement en disgrâce aux yeux du régime algérien ; au point de se réfugier à Londres (il sera ensuite extradé et carrément incarcéré dans son pays). Le rebondissement donna raison d’une certaine manière à Noël Mamère, il fut synonyme de glissade fatale pour le CABBG. Après, jamais le club ne put surmonter son marasme financier. Il faut bien comprendre que le rugby ne passionnait pas vraiment les foules, ni les entreprises à Bordeaux à cette époque. Bègles était un club historique, apprécié et respecté mais il n’était supporté que par un noyau dur. On l’a compris après, il souffrait de l’enclavement de son stade et puis dans ces années 2000, les Girondins de Bordeaux étaient encore très forts. Bernard Magrez résuma la situation ainsi : "J’avais 40 % des parts du club. J’ai beaucoup donné, notamment sur le plan matériel. Mais je me suis rendu compte qu’à Bordeaux, le tissu économique était atomisé et constitué d’une multitude de petites entreprises. On avait recherché… de gros partenaires. En vain, là aussi." (Sud Ouest). Preuve aussi de la froideur bordelaise à l’égard du CABBG. Une souscription auprès des supporteurs lancée par Mamère et ses proches ne rapporta pas grand-chose, elle n‘aurait pu se mesurer à l’éventuel apport du magnat algérien.

"Je crois que nous avons beaucoup souffert de la politisation de l’affaire avec les propos de Noël Mamère sur Khalifa, si ça n’avait pas eu lieu, je crois que nous aurions fait quelque chose de positif. Plusieurs sponsors étaient prêts à venir à la fin de la saison 2002-2003, mais tout a dégénéré après cette affaire." Kevin Venkiah, président du CABBG.

Aucune grosse entreprise ne voulut se joindre au duo Venkiah-Magrez et plus grave encore, Bernard Magrez se sentit dégoûté quand, pendant un échauffement, il se fit prendre à partie par un groupe de supporters excités. "Oui, j’ai été insulté et menacé avant un match. À l’échauffement des joueurs, des gars sur le bord du terrain m’avaient pris à partie d’un ton très menaçant et m’avaient insulté en me disant de "mettre plus de pognon." Je me suis juré de ne plus mettre les pieds à Musard." Bernard Magrez se retira du capital du club. Il venait de faire connaissance avec l’ingratitude des fans, décalage classique entre celui qui a le sentiment d’en faire beaucoup et ceux qui pensent qu’il a des moyens illimités. Un départ qui sonna l’hallali, à l’été 2003, ce fut le coup de grâce. Cette fois les instances, la DNACG et la Commission d’Appel de la FFR et même le CNOSF furent inflexibles. Le CABBG fut relégué en Pro D2, pour un déficit de 890 000 euros sur un budget de 4, 7 millions (ce dernier chiffre fait presque sourire quand on le compare aux budgets d’aujourd’hui). Bègles n’avait plus quitté l’Elite depuis la deuxième guerre mondiale. Relire le verdict de la Commission d’Appel n’est pas du temps perdu. Il dit quelque chose de la difficulté de construire un budget professionnel. L’apport de 300 000 euros par le biais des sociétaires du CABBG, des supporteurs et anciens ? Soumis à condition. L’engagement de la société Force bureautique, un nouveau sponsor, à hauteur de 180 000 euros ? Soumis à condition. L’apport de 200 000 euros de la société Image Point Com ? Pas de garantie suffisante… La Commission nota aussi que le CABBG n’avait pas déclaré en début de saison les engagements vis-à-vis de certains joueurs au titre des droits d’image. "Un manquement délibéré de transparence […] qui a gravement faussé l’appréciation que ce dernier a pu faire en début de saison des possibilités financières du club", considérait la DNACG dans son rapport.

La masse salariale ne devait pas dépasser 55 % du budget global. Or, s’il avait eu à déclarer ces sommes, la DNACG Pour Kevin Venkiah, la tâche était trop énorme. À Bordeaux, il n’y avait pas assez de forces prêtes à s’engager pour soutenir le club, tout simplement. Nous l’avons retrouvé, il vit désormais à l’Ile Maurice dont il est président de la fédération. Il a évoqué l’épisode sans aucune gêne, d’un ton particulièrement cordial : "La page est tournée. Cette affaire Mamère-Depardieu, c’est de la rigolade maintenant pour moi. Mais la présidence de l’UBB fut pour moi synonyme de rencontres avec des gens formidables, les Depardieu, Magrez, Laporte, Simon, Blanco. J’ai même rencontré mon épouse à Bordeaux. Alors je n’ai aucune amertume même si c’est vrai ce fut aussi beaucoup de stress, j’ai quand même fait un AVC." Il valide la thèse de l’homme poussé sur le devant de la scène et qui s’aperçoit qu’il n’y a pas grand monde autour de lui : "Je n’ai jamais su pourquoi Messieurs Serriès et Meehan ne sont pas venus. Ont-ils eu peur ? La défection de l’un a-t-elle fait peur à l’autre. Je crois que je ne le saurais jamais. Mais Bernard Magrez est venu me soutenir ensuite et lui, c’est toujours un ami, plus que ça même, un mentor." Paradoxalement Kevin Venkiah ne veut pas parler d’échec : "Non, ce fut un moment de ma vie très dur. Ce n’est pas pareil qu’un échec Si c’était à refaire je le referais, mais autrement. J’ai rencontré des gens qui avaient du cœur et quand je reviens à Bordeaux, je revois des gens qui me parlent encore de ça. Et après tout, pour ce match CABBG-Stade Français, nous avions rempli le stade André-Moga à ras bord. Ce n’était pas si mal. En fait, je crois que nous avons beaucoup souffert de la politisation de l’affaire avec les propos de Noël Mamère sur Khalifa, si ça n’avait pas eu lieu, je crois que nous aurions fait quelque chose de positif. Plusieurs sponsors étaient prêts à venir à la fin de la saison 2002-2003, mais tout a dégénéré après cette affaire."

En 2003, Kevin Venkiah a quitté le club relégué : "Mais c’est ma fierté, j’ai payé tout le monde avant de partir, avec parfois de l’argent sorti de ma poche. Joueurs et employés, personne ne peut dire qu’il n’a pas reçu ce qu’il devait." Après lui, le club se retrouva en Pro D2 puis en Fédérale 1 En 2006, ce fut la fameuse fusion et la création de l’UBB, on l’a oublié mais Laurent Marti rencontra les mêmes difficultés à ses débuts. Peu de soutien de l’économie locale.. Il faillit jeter l’éponge avant d’avoir une intuition géniale : le déménagement à Chaban-Delmas et la découverte d’un nouveau public. Le plus nombreux d’Europe. C’est ce qui a tout changé. Bernard Magrez le disait : "Pour faire venir des sponsors, il faut donner envie."  

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